RUAG, entreprise d’armement détenue à 100 % par le gouvernement suisse va construire une fabrique de munitions de petit calibre au Brésil. Des balles pour armes légères, qui équipent l’armée et la police, mais aussi les pistolets et les fusils qui, aux mains des trafiquants de drogue et des délinquants, tuent des innocents. En 2015, les victimes de la violence intentionnelle qui règne au Brésil ont été au nombre de 58 000, 71 % d’entre elles assassinées avec des armes à feu.
L’affaire n’a pas traîné ! Le 5 septembre 2017, après 9 mois d’âpres délibérations au parlement, les autorités brésiliennes décident d’ouvrir le secteur de la fabrication d’armes à la concurrence internationale. Elles brisent ainsi un monopole de 90 ans détenu par Taurus, une entreprise 100 % nationale. Justification du gouvernement : améliorer la qualité des armes équipant les forces armées et la police et faire baisser leur coût.
140 millions pour une fabrique dans le Nord-Est
Une semaine plus tard, le 12 septembre, RUAG obtient la première autorisation pour une entreprise étrangère d’opérer dans le pays. Elle va construire une unité de fabrication de balles de petit calibre, des 9×19 mm, .40 S&W e .380. Ce sera sans doute dans le Pernambuco, État du Nord-Est dont est originaire le ministre de la Défense Raul Jugmann, principal articulateur de cette nouvelle directive gouvernementale sur l’ouverture du marché de la production d’armes.
D’autres suivront sans doute, l’Autrichienne Glock et la Tchèque CZ notamment, qui ont déposé leur candidature. RUAG compte investir quelque 140 millions de CHF (122 millions d’€) dans l’opération. Selon Maria Vasconcelos, CEO de la filiale brésilienne de la firme, « l’entreprise veut proposer une nouvelle option au Brésil, car le monopole actuel prétérite l’entraînement des troupes de sécurité et le contrôle de qualité des munitions en circulation. »
Bon pour le marché, mais pas pour la sécurité
Le lobby des défenseurs du port d’arme, qui se bat au Congrès pour l’abolition du statut du désarmement adopté en 2003, applaudit des deux mains « cette ouverture qui va aussi entraîner une baisse de prix bienvenue des munitions pour les armes qui équipent les civils. » C’est justement ce qui fait craindre aux défenseurs du désarmement les conséquences de cette nouvelle directive gouvernementale.
Le sociologue Ignacio Cano, professeur au Laboratoire d’analyse de la violence de l’Université d’État de Rio de Janeiro (Uerj) en fait partie : « la concurrence va faire baisser les prix, c’est peut-être bon pour le marché, mais pas pour la sécurité publique. » Et de rappeler le nombre de morts violentes qui ébranle le Brésil chaque année : 61 619 en 2016, 3,8 % de plus qu’en 2015, soit un taux de mortalité violente de 29,9 pour 100 000 habitants. C’est le 11ème taux le plus élevé du monde, selon l’OMS, il dépasse largement la moyenne mondiale de 6,7 homicides pour 100 000 habitants.
RUAG aussi présente dans la poudrière du Moyen-Orient
Le Brésil n’est pas le seul pays dans lequel RUAG s’est implantée. Si l’armée suisse reste le plus gros client de cette entreprise helvétique intrinsèquement liée au Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), elle ne représente plus qu’un tiers des revenus de la holding, qui pèse 1,7 milliard de chiffre d’affaires annuel.
C’est donc essentiellement hors des frontières helvétiques que RUAG s’est développée ces dernières années. Elle est présente dans 14 pays et fin 2016, elle a fondé, en toute discrétion, une filiale aux Émirats arabes unis, malgré l’implication de ce pays dans la guerre au Yémen. L’entreprise compte développer à partir de cette filiale ses activités au Moyen-Orient.
Un Janus à la sauce helvétique
Par l’intermédiaire de RUAG, la Suisse gouvernementale va donc investir 140 millions de francs dans la fabrique de munitions pour armes à feu au Brésil. Dans le même temps, la Confédération helvétique a versé 82 millions de francs aux Nations Unies en 2016 pour financer les opérations de maintien de la paix de l’ONU et dépêché quelque 200 experts civils auprès d’organisations internationales pour promouvoir la paix et les droits de l’homme.
Ma main droite ignore ce que fait ma main gauche ! Dans l’antiquité romaine, le dieu Janus était un personnage à deux têtes qui symbolisait l’ambiguïté. En ce début de XXIème siècle de notre ère, le dieu aux deux visages a enfanté son successeur à Berne…
8 juillet 2018 at 08:36
[…] Le Conseil fédéral, fort d’une nouvelle majorité en son sein – Didier Burkhalter s’est toujours opposé à des exportations vers des pays en guerre civile –, a clairement choisi la deuxième option. Une option qui prend en compte les intérêts du principal producteur d’armes du pays, Ruag, propriété de la Confédération. Une société par ailleurs active au plan international: présente dans 14 pays, elle a ouvert une filiale dans les Emirats et s’apprête à faire de même au Brésil. […]
7 juillet 2018 at 18:50
[…] Le Conseil fédéral, fort d’une nouvelle majorité en son sein – Didier Burkhalter s’est toujours opposé à des exportations vers des pays en guerre civile –, a clairement choisi la deuxième option. Une option qui prend en compte les intérêts du principal producteur d’armes du pays, Ruag, propriété de la Confédération. Une société par ailleurs active au plan international: présente dans 14 pays, elle a ouvert une filiale dans les Emirats et s’apprête à faire de même au Brésil. […]