cantagalo 22 de abril

Mardi 22 avril 2014, Cantagalo-Pavão-Pavãozinho. Une traque policière menée contre un des chefs du trafic local de drogue en fuite depuis plusieurs semaines, tourne mal : échange de coups de feu, barricades de voitures brulées, un mort. Un chauffeur de moto-taxi, retrouvé dans les locaux d’une crèche où il aurait cherché refuge. L’homme de 26 ans était aussi danseur dans une émission de TV Globo, son décès ne reste pas anonyme. Il aurait été confondu avec un trafiquant et torturé à mort par la police affirment ses proches. L’enquête judiciaire en cours n’a pas encore apporté la preuve de cette version des faits. Mais la réaction des habitants est immédiate, ils bloquent une des grandes avenues voisines de la favela dans le quartier touristique de Copacabana. 

La répercussion médiatique de ces événements est immédiate et mondiale. Tonalité générale : attention, danger à Rio de Janeiro pour le Mundial de football. « Violentes émeutes à Rio de Janeiro à quelques semaines de la Coupe du Monde », « Situation explosive à Rio de Janeiro deux mois avant la Coupe du Monde ».

moradores-do-morro-do-cantagalo-em-ipanema-zona-sul-do-rio-de-janeiro-atearam-fogo-em-cacambas-de-lixo-e-chegaram-a-bloquear-a-rua-teixeira-de-melo-eles-protestavam-porque-dois-moradores-1396450169571_1920x1080Entendu au Journal d’Arte le lendemain : « l’armée a été appelée en renfort pour contrôler la situation dans la favela de la Maré, près de l’aéroport de Rio de Janeiro car la police est débordée, elle ne peut plus faire face à la violence ». Lu trois jours après, ce communiqué d’Amnesty International section Brésil qui exige – à juste titre – une enquête rapide et exhaustive sur la mort du danseur Douglas Rafael da Silva, mais ajoute que «  la police du Brésil serait une de celle qui tue le plus au monde. A Rio de Janeiro, entre 2002 et 2011, les interventions des forces de l’ordre auraient provoqué 10’134 morts ».  Ce festival de demi-vérités n’explique rien.

Dérapage de la violence, certes, mais dans quel contexte ?

enterro douglasReprenons les faits : il y a eu dérapage  et mort d’un innocent à Cantagalo-Pavão-Pavãozinho, favela pacifiée depuis 2009, c’est indéniable. Bavure policière ou fatalité, l’enquête doit encore l’établir. Il y a eu une réponse violente des habitants du quartier qui ont dressé des barricades dans les rues de Copacabana, provoquant de nouveaux désordres et une autre mort d’homme, cette fois par balle perdue. Cette révolte cependant ne traduit pas, comme on a pu le lire, l’échec de la politique de pacification mise en place par les autorités. Au contraire, elle révèle une vigilance populaire accrue contre l’arbitraire. Et cela, c’est justement le fruit de cette politique de pacification : les gens ne s’en laissent plus compter. Dès qu’il y a abus ou soupçon d’abus, ils protestent. C’est un fait nouveau et encourageant.

manif depois do enterroLe taux d’homicides dus à l’intervention des forces de l’ordre reste élevé, trop élevé à Rio de Janeiro, le constat est évident. Dans ce sens, la politique de pacification (qui touche aujourd’hui 40 favelas de la métropole) est sans doute allée trop vite. Elle pêche par une formation et un entraînement insuffisant des policiers concernés et par un manque de suivi dans les programmes sociaux et d’urbanisme censés accompagner cette reconquête des favelas par les pouvoirs publics. Malgré tout, le contrôle absolu et arbitraire des trafiquants sur ces espaces qui vivaient depuis 40 ans sous le régime de la « dictature du non-droit » a bel et bien disparu. Grâce à cela, la violence a baissé.

Indéniablement moins de violence à Rio de Janeiro

graficoHomicidio« Les statistiques sont sans équivoque : entre 2006 et 2010, le taux d’homicide pour 100’000 habitants est passé de 40,6 à 29,8. Certes, 29,8 homicides pour 100’000 habitants par an, c’est encore loin d’être un chiffre idéal. L’agglomération de Rio de Janeiro, avec ses 12 millions d’habitants n’est pas devenue d’un seul coup de baguette magique un havre de calme et de sécurité, cependant la baisse de la violence y est spectaculaire » (Jean-Jacques Fontaine, l’Invention du Brésil, Editions l’Harmattan, avril 2014).

mare-paraquedistas-guilherme-pintoQuant à l’occupation du complexe de favelas de la Maré par l’armée, depuis le 5 avril dernier, il ne s’agit pas comme le prétend Arte d’une situation dans laquelle « l’armée a été appelée en renfort pour contrôler la situation car la police est débordée, » mais d’une stratégie systématiquement appliquée dans les opérations de pacification : dans un premier moment, les favelas sont investie massivement par les forces de l’ordre afin d’en prendre le contrôle, ensuite, les unités de police de pacification sont mise en place, dans un délai de quelques semaines à quelques mois, lorsque la situation est stabilisée.

controle exercito mareDans le cas spécifique de la Maré, qui regroupe sur une vaste surface 130’000 habitants et qui était contrôlée par 3 factions criminelles rivales se disputant le territoire, le recours aux soldats se justifie : il faut beaucoup de monde pour tenir les points de contrôle et la police ne dispose pas d’effectifs suffisants pour cette tâche spécifique. Je m’y suis rendu à la Maré quelques jours après le début de cette occupation militaire. La présence de l’armée dans les rues y était en effet voyante, et les vérifications d’identité systématiques, mais mené de façon très courtoise. A chacun des contrôles, les soldats distribuent un petit dépliant dans lequel ils « s’excusent du désagrément causé, nécessaire cependant pour augmenter la sécurité des habitants du quartier ».

La pacification en échec ?

upp-rocinha-rio-20120920-04-size-598Alors échec ou réussite de la pacification des favelas à Rio de Janeiro à la veille de la Coupe du Monde de football ? Disons, avec le sociologue Ignacio Cano, coordonnateur du Laboratoire d’analyse de la violence, que cette stratégie marque aujourd’hui le pas : « Le projet des unités de police de pacification représente incontestablement une amélioration dans la manière de conduire la politique de la sécurité publique dans les favelas de Rio de Janeiro. Cependant.il est nécessaire d’améliorer le dialogue afin de conquérir la confiance des habitants de ces quartiers. Le principal défi des UPP, c’est que la population comprenne que la police est là pour la protéger et non pour la contrôler. Il faut que la police soit perçue par la communauté comme une force en sa faveur et non contre elle ».

exercito_favela_da_mare_4Dans ce domaine, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, c’est vrai… Que les visiteurs du Mundial se rassurent cependant, Rio de Janeiro n’est pas un coupe-gorge, ses rues ne sont pas à feu et à sang. Le nombre d’homicides enregistré en 2010 a été le plus petit depuis 1991. Et en 2013, il a été à peine plus élevé.