[Durant les semaines qui précèdent l’élection présidentielle du 5 octobre, Vision Brésil vous propose chaque dimanche un dossier sur l’un des défis qui attendent le futur élu.]

Aujourd’hui, Une violence récurrente trop négligée

 

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Janvier 2014 : 12 hommes entre 17 et 30 ans meurent assassinés au petit matin dans différents endroits de la banlieue de Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo. Six d’entre eux étaient porteurs d’un casier judiciaire. Ils ont été abattus les uns après les autres par des tireurs en voiture. Les raisons de ces crimes paraissent être une vengeance de policiers suite à la mort de l’un d’entre eux, la veille au soir, lors d’une tentative de vol dans une station-service. Si l’hypothèse est confirmée, cela traduira une fois de plus un des traits les plus néfastes de la police brésilienne, le désir de vengeance et la disposition a le mettre en pratique, affirme José Vicente da Silva Filho, ancien Secrétaire national à la Sécurité du gouvernement Fernando Henrique Cardoso : « La corporation entre en ébullition chaque fois qu’un collègue est tué, cela provoque un sursaut aigu de solidarité qui débouche sur la vengeance immédiate ».

Entre janvier et juin, 317 personnes ont été tuées par la police militaire dans l’Etat de Sao Paulo, « le nombre le plus élevé depuis l’année 2003, qui représentait un pic de 399 morts à partir duquel ce chiffre a régulièrement baissé » commente dans son rapport semestriel les services du Secrétariat d’Etat à la Sécurité de Sao Paulo. Le même document fait apparaître une hausse de 38% du nombre de vols dans la ville de Sao Paulo, c’est le 13° mois consécutif de hausse de ce genre de larcin.

policia em sao pauloPar contre, les homicides dans la capitale de l’Etat ont baissé de 8,8% durant le premier semestre 2014, alors qu’au niveau national, le taux d’homicide a été en 2012, dernière année pour laquelle les chiffres sont connus, le plus élevé depuis les années 1980. La violence au Brésil est encore et toujours une réalité bien présente et la perception populaire qu’elle a tendance à remonter depuis le début de l’année semble justifiée. Tout comme la sensation qu’elle s’exerce autant du côté des criminels que des forces de l’ordre. C’est sans doute un des dossiers brûlants sur lequel va devoir se pencher la nouvelle équipe gouvernementale qui sortira des urnes du mois d’octobre.

50 à 100 fois plus de morts violentes qu’au Japon

En 2012, 56’337 personnes sont donc décédées de mort violente, 7,9% de plus qu’en 2011. Cela fait une « moyenne » de 29 assassinats pour 100’000 habitants, bien au-delà de la limite du seuil épidémique de 10 homicides pour 100’000 habitants fixé par l’OMS. « Nos chiffres sont 50 à 100 fois plus élevés que ceux de pays comme le Japon » commente Julio Jacobo Waiselfisz, auteur de la « Carte de la violence au Brésil », éditée chaque année sur la base des chiffres du « Système d’Informations sur la Mortalité » du Ministère fédéral de la Santé.

mapa-violencia-2011-capitaisMais pour le sociologue, ces chiffres doivent être nuancés : le Brésil vit un état d’équilibre instable où certains Etats connaissent des progrès et d’autres des régressions. Il est vrai qu’entre 2000 et 2012, le taux de mortalité a peu varié sur le plan national, 28,5% au début de la décennie, 25,7% en 2007, la « meilleure année », puis à nouveau 29% en 2012. Pendant ces 12 ans, deux Etats, Rio de Janeiro et Sao Paulo, ont connu une baisse spectaculaire de la violence. Sao Paulo affiche, malgré une remontée de 11% entre 2011 et 2012, le deuxième plus bas taux d’homicide du pays, avec une chute de 60% des assassinats et Rio de Janeiro une diminution de 50%.

Baisse dans les métropoles, hausse dans les villes moyennes

projeto_capa1-2On constate par contre un net déplacement de la violence vers les villes secondaires de l’intérieur du pays, là où s’installent les nouveaux pôles de croissance. Globalement, la violence a chuté de 21% dans les grandes capitales entre 2003 et 2012, mais elle a augmenté de 23% dans les petites municipalités. Ce qui explique en bonne partie la hausse de 2,1% en 2012 par rapport à 2011.

La « Carte de la violence au Brésil » montre encore que 70% des homicides auraient comme toile de fond le problème de la drogue. « Je ne pense pas que l’année 2012 marque une tendance », analyse Julio Jacobo Waiselfisz, « mais les chiffres préoccupent car ils traduisent le fait que les actions ponctuelles dans le domaine de la Sécurité publique montrent leurs limites ». Traduction : il manque une politique cohérente d’ensemble dans la lutte contre la violence…

Pas de stratégie d’ensemble

brasil mais seguroIl existe bien, au niveau national un « Plan fédéral Brésil plus sûr », mais les affaires de police restent fondamentalement l’apanage des Etats et chacun agit comme bon lui semble dans ce domaine, sans véritable coordination. Un Etat, ou plutôt une ville, tente depuis 2008 de mettre en place une stratégie de lutte contre la criminalité à travers la réintégration progressive des quartiers marginaux dans le reste de l’agglomération : Rio de Janeiro avec la mise en place des Unités de Police de Pacification.

La ville joue aujourd’hui le rôle de laboratoire dans le domaine des politiques sécuritaires, mais l’expérience, bien commencée il y a 7 ans, connaît quelques problèmes aujourd’hui. Une quarantaine « d’UPPs » ont été installées dans environ 250 communautés depuis 2008, touchant directement ou indirectement 2 millions de personnes. 9’300 policiers y sont affectés. « Mais plusieurs cas de violence policière intervenus ces derniers temps ont renforcé la défiance des habitants vis à vis des unités de police de pacification » relevait Astrid Prange, journaliste de la Deutsche Welle en avril dernier :

???????????????????????????????« La différence entre le rêve et la réalité est toujours immense. Même si des hôtels de luxes sont inaugurés dans les favelas, le contraste qui existe depuis des siècles entre la partie privilégiée de la cité et les communautés négligées par les pouvoirs publics n’a pas disparu. Et celui qui habite la favela est encore et toujours regardé par le policier comme un délinquant en puissance ». Astrid Prange se réfère notamment à deux « bavures » avérées de la police de pacification : la disparition en juillet 2013 d’Amarildo, un habitant de la Rocinha vraisemblablement torturé dans un container de l’UPP et dont le corps n’a jamais été retrouvé et la mort lors d’une descente de police de « Douglas » dans la favela de Cantagalo, qui a ensuite donné lieu à une nuit d’émeute dans les rues du quartier touristique de Copacabana.

Trouver le chemin d’une relation de confiance

UPP e populaçao« Le principal défi des UPPs aujourd’hui », analyse Ignacio Cano, coordinateur du Laboratoire d’Analyse de la Violence de l’Université d’Etat de Rio de Janeiro, « c’est de faire en sorte que la population perçoive la police comme une institution qui est là pour la protéger et non pour la contrôler. C’est un des défis majeurs dans la relation entre les forces de l’ordre et les habitants ». Sur ce plan, les efforts engagés ont été largement insuffisants, poursuit le sociologue : « L’UPP en est resté à son stade initial, occuper et quadriller le territoire. A partir de là, la manière d’agir des policiers dépend de la volonté et de la sensibilité du commandant local. Ce n’est pas que cette police soit pire que les autres. Au contraire, elle est plutôt meilleure, mais comme elle est plus exposée, elle est plus sujette aux dénonciations en cas de dérapage ».

policiais revistandoChanger ce rapport de défiance entre la police et la population est un objectif extrêmement complexe car il faut réussir à rompre avec une relation qui s’est construite depuis des siècles sur l’affrontement entre les agents de l’ordre et les habitants et non sur la collaboration. Une perception qui vaut des deux côtés d’ailleurs. Une enquête menée par le Centre d’Etudes sur la Sécurité et pour la Citoyenneté de l’Université Candido Mendes de Rio de Janeiro auprès des policiers en poste dans un certain nombre d’UPPs révèle bien cette défiance de la corporation à l’égard des résidents qu’ils sont censés protéger : seuls 46% des policiers interrogés se disent contents de travailler dans une UPP. Les autres sont « indifférents » (27%) ou « insatisfaits » (26%).

Un fonctionnement en pilote automatique

A la question de savoir s’ils préféreraient travailler dans un autre département de police, 60% répondent favorablement et l’écrasante majorité cite les services traditionnels d’intervention comme les bataillons de choc ou le travail administratif, des activités très éloignées de celles de la police de pacification. Une des principales explication de ce désenchantement policier, selon l’enquête du CeSC réside dans le fait que l’assignation à une unité de pacification ne se fait pas en tenant compte de la vocation ou de l’aptitude des policiers vis à vis de cette tâche, mais sur la base d’une désignation administrative.

treinamento policias UPP« Actuellement, les UPPs fonctionnent en pilotage automatique » observe Ignacio Cano, « ça ne peut pas marcher comme ça. Il faut mettre la priorité sur l’amélioration des relations avec la population et une meilleure formation des agents en poste. » Malgré ces difficultés, l’expérience de Rio de Janeiro fait toujours référence dans la question de la lutte contre la criminalité, ce qui devrait stimuler les prochaines autorités à multiplier les efforts pour la rendre plus solide.

Le chancre des prisons

dominio das faccoes nas prisoesIl est un autre domaine beaucoup plus négligé par le pouvoir, qui est un foyer important de délinquance au Brésil : les prisons. Surpeuplées, abandonnées au contrôle des factions criminelles qui font régner leur propre loi derrière les barreaux, elles sont devenues les postes de contrôle d’où les caïds de la drogue commandent les actions criminelles qui se déroulent dans la rue.

itamonteC’est ainsi que le 22 février 2014, une vingtaine d’assaillants, débarquant d’un convoi d’une dizaine de voitures, attaquent une agence bancaire dans une petite ville agricole des montagnes du Minas Gerais. Itamonte. 200 policiers les attendent, mis au courant par une indiscrétion. S’ensuit une énorme fusillade qui terrorise cette localité de 13’000 habitants, d’ordinaire bien tranquille, et fait 9 morts parmi les assaillants. L’enquête montrera que les protagonistes faisaient partie d’une bande spécialisée dans les attaques de banques des petites agglomérations de l’Etat de Sao Paulo et du Minas Gerais. Ces opérations étaient organisées et commandées depuis l’intérieur des prisons de Sao Paulo.

Des détenus dont on nie l’existence

« Comment voulez-vous que les condamnés emprisonnés respectent notre vie dans la rue si la société ne prend pas en compte leur existence comme prisonniers » commente Camila Nunes Dias, chercheuse au Noyau d’Etude sur la Violence de l’Université de Sao Paulo. Et la sociologue d’aligner les chiffres : en 2012, le Brésil a consacré 52 milliards de R$ à la sécurité publique, mais seulement 2,3 milliards aux politique de réhabilitation des prisonniers.

superlotacao-em-presidio-em-pernambuco-problema-e-recorrente-em-unidades-carcerarias-em-todo-o-estado-1379708501777_1920x1080Il y avait 548’000 personnes incarcérées en 2012, cinq fois plus qu’en 1990 et le taux moyen d’occupation des cellules est de 176%, presque 2 personnes par lit ! 38% des occupants des pénitenciers sont en prison préventive, en attente de jugement pendant des mois et des années. « Les prisons sont surpeuplées, c’est la recette idéale pour les rébellions, les fugues, mais aussi la prise de pouvoir par les factions criminelles. » L’Etat ne contrôle plus ses pénitenciers. « Tant que la société brésilienne continuera à rejeter dans la marginalité la population carcérale, la violence des prisons débordera dans la rue », affirme Camila Nunes Dias, « alors mettre l’accent sur la réinsertion, ce n’est pas un dépense, c’est un investissement ».

prison_sueciaOn pourrait considérablement améliorer les conditions dans les pénitenciers et réduire la délinquance dans la rue en moins de 10 ans, affirment la majorité des criminologues. En se basant sur des expériences menées par des pays comme la Suède ou le Portugal, qui ont mis en place des partenariat public-privés dans le domaine carcéral : le secteur privé construit et administre les prisons, les pouvoirs publics, libérées de ces charges d’infrastructure, se consacrent à la gestion des peines et à la réhabilitation des délinquants. Une recette qui paraît simple à l’énoncé, mais qui est tout un programme lorsqu’il s’agit de l’appliquer. Surtout dans un pays qui préfère enfermer plutôt que d’affronter les raisons qui poussent à la violence…