Un fleuve souterrain, trois fois large comme l’Amazone, qui court tout au long de son lit, sur 6’000km, jusqu’à l’Océan Atlantique, c’est la découverte que vient de communiquer au monde l’Observatoire National Brésilien de Géophysique. Une découverte majeure, même si on ne sait pas encore très bien quoi en faire…

Jour après jour, nous percevons à quel point nous connaissons mal l’Amazonie et notamment son régime des eaux ! Il y a 2 ans par exemple, le Suisse Gérard Moss, installé au Brésil, nous faisait découvrir les « rivières volantes », des flux de nuages chargés d’eau, alimentées par l’évaporation de la forêt amazonienne, qui vont se déverser sur les grandes plaines agricoles de l’Etat de São Paulo et du Centre-Ouest, à 4’000km plus au sud. Un phénomène déterminant pour l’agro-industrie du sud du Brésil, qui montre à quel point elle est dépendante de la bonne santé de la forêt amazonienne (voir Vision Brésil n°, août 2009).

De l’aquifère d’Alter do Chão au lit souterrain de l’Hamza

Un an plus tard, ce sont des chercheurs de l’Université fédérale du Para qui mettent à jour l’existence d’un gigantesque réservoir d’eau potable, l’aquifère d’Alter do Chão, sans doute le plus grand du monde. Il s’étend sous les Etats d’Amazonie, du Para et d’Amapa. En tout 86’000 km3 d’eau ou 86’000 milliards de bouteilles d’un litre ! De quoi approvisionner théoriquement toute la population mondiale pendant 500 ans (voir Vision Brésil n°14, mai 2010). Aujourd’hui, ce sont des scientifiques de Manaus qui mettent à jour l’existence du Rio Hamza, un double du fleuve Amazone qui court en parallèle, 4’000 m sous terre et se jette dans l’Atlantique au même endroit !

L’Hamza naît au Pérou, dans les Andes. Exactement au même endroit que l’Amazone. D’ailleurs les populations de la région de Cuzco connaissent bien son existence. Depuis les temps immémoriaux, ils creusent des puits pour utiliser cette eau souterraine afin d’irriguer les terres arides de la Cordillère. De là, le Rio Hamza « plonge » verticalement dans les entrailles de la terre, d’un coup, sur une très courte distance : 2km. Ensuite, il part à l’horizontale vers l’est, à peu près au niveau de l’Etat d’Acre. Il va dès lors serpenter durant 6’000km, sous le lit de l’Amazone, à 4’000 mètres de profondeur, et se jeter dans l’Atlantique, dans la même zone que son frère de surface. L’Hamza s’avancerait de 150km dans l’océan, ce qui expliquerait la faible salinité des eaux qui remontent des grands fonds dans cette région.

D’énormes masses d’eau et un parcours sinueux

Bien sûr, le fleuve ne coule pas librement comme dans un tunnel souterrain ! L’Hamza se fraye lentement un passage dans les sédiments, sa vitesse d’écoulement est donc beaucoup plus lente que celle de l’Amazone : 10 à 100 mètres par année contre 0,1 à 2 mètres par seconde pour l’Amazone. Son débit aussi, ne représente que 2% de celui de l’Amazone. Un débit qui est tout de même l’équivalent de celui du Rhône, 3’000 m3 par seconde! Et pour avancer dans le sous-sol amazonien, l’Hamza a besoin d’espace. Sa largeur est ainsi de 200 à 400km, contre un maximum de 100km pour l’Amazone !

Toutes ces données ont été rendues publiques par des chercheurs de l’Observatoire National de géophysique et de l’Université de Manaus, lors d’un congrès qui s’est tenu à Rio de Janeiro fin août, soulevant une vgue de curiosité dans le monde. Le nom provisoire de ce cours d’eau, Hamza, lui a été donné en hommage à celui qui l’aurait découvert, un scientifique indien installé au Brésil depuis 1974.

Grâce aux puits creusés par Petrobas

Pas question, bien entendu de « voir » ce cours d’eau. Les travaux de Valiva Hamza et son équipe se basent sur l’observation de 241 puits forés par Petrobras dans les grandes profondeurs du lit de l’Amazone. C’était dans les années 1970-1980, dans le cadre de la recherche infructueuse de gisements de pétrole. La température au fond de ces puits s’est révélée systématiquement inférieure de 5° à la température du sol, ce qui indiquait la présence d’une grande quantité d’eau à 4’000 mètres sous la surface. En suivant le parcours de ces puits, les chercheurs ont donc pu tracer le cours de l’Hamza. Exactement le long de celui de l’Amazone.

« Ce n’est pas une nappe phréatique comme le réservoir aquifère d’Alter do Chão, où l’eau n’est pas en mouvement, explique Valiva Hamza. Dans le cas de l’Hamza, nous pouvons percevoir l’écoulement du fleuve, quoique très lent, à travers les sédiments ». Valiva Hamza se donne cependant jusqu’en 2014 pour confirmer définitivement les contours de sa découverte.

13% des ressources d’eau douce de la planète

Au-delà de la curiosité, à quoi peut bien servir la mise en évidence de ce fleuve souterrain ? « D’abord, c’est une avancée scientifique majeure, se réjouit Elizabeth Tavares Pimentel, professeur à l’Université de Manaus, qui permet de mieux cerner la nature et le régime des eaux en Amazonie ». Et aussi, à terme, d’en tirer des enseignements utiles à l’exploitation humaine non prédatrice de la forêt. Elle contribue encore à une meilleure connaissance des courants marins et de l’habitat des poissons dans cette région équatoriale de l’Océan Atlantique, car l’embouchure de l’Amazone concentre toutes les rivières de l’Amazonie, de surface ou souterraines.

Officiellement, le Brésil détient 13% des eaux douces de la planète. Et si on en est encore aux premiers balbutiements concernant la connaissance profonde de l’Amazonie, on n’est guère plus avancé pour ce qui a trait aux potentialités d’utilisation de ces immenses ressources aquatiques. L’Hamza lance donc un défi. D’abord aux scientifiques, ensuite aux décideurs politiques, au monde économique et aux environnementalistes.