C’est un des plus importants scrutins du monde qui va se dérouler le dimanche 3 octobre prochain : 135 millions d’électeurs brésiliens vont choisir leur Président ou Présidente, les Gouverneurs des 26 Etats de l’Union et les députés des chambres nationales et régionales. A titre de comparaison, le nombre d’électeurs en France est de 44 millions, 3 fois moins ! Ces 135 millions d’électeurs sont pourtant bien inégaux devant l’urne.

20% d’entre eux n’ont jamais fréquenté l’école, soit 27 millions de votants. 8 millions sont analphabètes, les 19 autres millions déclarent savoir lire et écrire sans avoir jamais mis les pieds dans une salle de classe. Enfin 45 millions n’ont pas terminé l’école primaire. Au total, ces 3 catégories de votants représentent 53% de l’électorat.

Qualité de la démocratie en question

« Cette situation menace la qualité de la démocratie brésilienne car le manque de formation nuit à l’appréhension des débats d’idées pour se former une opinion. Donc l’électeur mal préparé suit une « figure » qu’il croit le représenter et non ses idées » note le politologue Cesar Romeo Jacob, dans son livre : « La géographie du vote dans les élections présidentielles au Brésil, 1989-2006 ».

Dans le cas de cette campagne électorale 2010, c’est la « figure nationale » de Lula qui domine la scène, d’où la presque certitude de voir sa protégée, Dilma Rousseff être élue au premier tour déjà. Sans avoir pratiquement rien dit de son propre programme, sinon qu’il serait « celui de Lula ». Cela limite évidemment le débat d’idée et l’ancien Président Fernando Henrique Cardoso dénonce l’attitude de Lula « plus proche de celle d’un chef de faction que de la retenue nécessaire d’un Président sortant ».

L’enjeu des « réduits électoraux » locaux

Les élections présidentielles précédentes ont été différentes, note Cesar Romeo Jacob, mais pas nécessairement plus favorable au débat d’idée. Le politologue relève que 5’200 des 5’500 municipalités qui forment le Brésil abritent moins de 50’000 habitants chacune. Et c’est principalement au niveau local que se forge les « figures de référence » qui vont indiquer aux électeurs les moins instruits pour qui voter. Ces « réduits électoraux » pèsent lourd dans le processus démocratique.

Analysant les 5 dernières élections présidentielles (1990, 1994, 1998, 2002, 2006) Cesar Romeo Jacob note que le candidat finalement élu a su, quelque soit sa couleur politique, se rallier non seulement ces « réduits électoraux », mais encore les périphéries urbaines pauvres dominées par les églises évangéliques ou les chefs du crime organisé et finalement la petite minorité des intellectuels urbains de la classe moyenne. Ainsi Lula a perdu 3 scrutins (1990, 1994, 1998) parce que son profil de syndicaliste était trop marqué par le triangle industriel de Sao Paulo, et la gauche intellectuelle urbaine.

« Lulinha » rassembleur

En 2002, avec le slogan « Lulinha paix et amour », il s’est repositionné comme figure de rassemblement national et s’est adjoint un candidat vice-président issu des rang des évangélistes, ce qui lui a permis de triompher. Cette stratégie de la « figure de référence », nécessaire pour attirer les votes des électeurs les moins instruits vide évidemment le contenu des programme des partis de leur pertinence durant la campagne électorale. Encore un aspect qui limite le débat d’idée et gêne le plein exercice de la citoyenneté. Héritage d’un passé tortueux : le populisme étatiste de Getulio Vargas, suivi de l’étatisme « développementiste » de Juscelino Kubitschek et son célèbre slogan : « faire avancer le brésil de 50 ans en 5 ans ».

Plébiscite pro-Lula ou élection d’un successeur ?

Le Président sortant occupe maintenant tellement le devant de la scène et jouit d’une telle popularité que cette campagne électorale 2010 est totalement faussée. Majorité et opposition se confondent, les deux principaux candidats à la succession rivalisent d’allégeance à l’égard de l’héritage de Lula.

Dilma Rousseff, donnée gagnante était une parfaite inconnue il y a encore une année. Cette économiste, fidèle du Parti des Travailleurs, ex-guérillera des années 60 contre la dictature militaire a la réputation de travailler sérieusement ses dossiers, mais n’a aucune expérience parlementaire. Un gros handicap lorsqu’il lui faudra négocier des majorités au sein de la coalition des 35 formations qui l’appuient. Sa candidature a été fabriquée de toute pièce par Lula et son programme de gouvernement se limite à marteler qu’elle seule est capable de garantir la continuité de la politique actuelle.

José Serra au contraire est un politicien aguerri. Ancien leader étudiant, réfugié au Chili durant la dictature, il a acquis ses lettres de noblesses comme ministre de la Santé du gouvernement Fernando Henrique Cardoso (1994-2002) en gagnant, aux côtés de l’Afrique du Sud un bras de fer mémorable contre les multinationales pharmaceutique pour faire passer dans le domaine public les brevets des trithérapies contre le Sida.

Gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, il est censé représenter l’opposition dans cette élection, mais multiplie les déclarations de soutien à la politique sociale de Lula, promettant même d’aller plus loin en augmentant le salaire minimum à 600 R$ et en introduisant un 13° mois à la bourse famille ! Une tactique désespérée qui donne peu de fruits, à ces promesses, les bénéficiaires des programmes sociaux préfèrent la garantie de l’original et voteront Dilma Rousseff.

Le facteur Marina Silva

Seule outsider tenant un discours différent dans cette campagne, Marina Silva, ex-ministre de l’Environnement du premier gouvernement Lula, ancienne compagne de route de l’écologiste Chico Mendes assassiné en 1988 sur ordre des grands propriétaires terriens de la région, elle est issue du monde des cueilleurs de caoutchouc de l’Etat amazonien d’Acre.

Elle propose la création d’un contrat social et environnemental avec la population brésilienne afin de mettre les institutions de l’Etat au service des besoins prioritaires des citoyens. Un projet qui peut séduire une partie de l’électorat intellectuel urbain, mais qui reste imperméable à la majorité des électeurs. Elle n’a donc aucune chance de gagner cette élection, mais Marina Silva peut tout de même empêcher la victoire de Dilma Rousseff au premier tour, ce qui pourrait changer un peu la donne. Ce serait le fait le plus marquant de ce scrutin.