Daniel García García, et Alexander Vicente Christianini © The Conversation (traduit de l’espagnol)
Un jour, Donald Trump est malade et le lendemain, les marchés boursiers du monde entier s’effondrent. Nous vivons dans un univers globalisé. Les phénomènes engendrés à un endroit sont rapidement transmis à des régions éloignées, affectant la planète entière. Cette mondialisation affecte également la nature. Le climat et les déplacements des animaux relient des écosystèmes éloignés les uns des autres.
Par exemple, les oies des neiges voyagent sur des centaines de kilomètres en automne de l’Arctique canadien vers le Midwest américain où elles passent l’hiver, se nourrissant des restes des récoltes agricoles. Au cours des dernières décennies, l’intensification de l’agriculture a contribué à faire augmenter les populations d’oies des neiges. Cela a entrainé des changements spectaculaires dans les zones humides de l’Arctique, qui sont désormais surexploitées par les oies en été. En bref, l’impact de l’agriculture dans une région tempérée se répercute jusqu’à l’Arctique, provoquant ce que nous, les écologistes, appelons un télé-couplage entre les processus sociaux et écologiques.
Télé-couplage et catastrophe écologique au Brésil
Passons maintenant au Brésil, un pays tropical de plus de 200 millions d’habitants et aux ressources abondantes telles que l’eau douce, l’agriculture et les minéraux. C’est aussi un vaste territoire qui renferme la biodiversité la plus riche de la planète au sein d’écosystèmes complexes, tels que les forêts tropicales amazoniennes et les zones humides du Pantanal. Ces environnements fournissent à l’humanité d’innombrables services tels que la régulation du climat, le stockage du carbone, la fourniture de médicaments, la promotion de la diversité culturelle et de l’écotourisme, etc. Le Brésil est ainsi le centre de nombreux télé-couplages socio-écologiques, soit d’ inter-actions entre les systèmes humains et naturels de dimension mondiale (figure 1A).
Par exemple, il souffre du réchauffement climatique causé par les grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) tels que les États-Unis, mais ses forêts compensent les émissions en séquestrant le carbone. Le pays fournit également des millions de tonnes de soja et de viande à un milliard de consommateurs en Chine, mais c’est au prix de la déforestation et de l’assèchement de grandes surfaces transformées en cultures et pâturages.

Figura 1. Brasil, visto desde la perspectiva de los teleacoplamientos globales (A), las relaciones entre clima y deforestación (B) e incendios y agroganadería (C)
Ces télé-couplages ont des conséquences (figure 1B). Le climat pluvieux du Brésil dépend de ses forêts et de ses zones humides. Les forêts favorisent la création de nuages, ce qui se traduit par plus de pluie. Cela maintient la forêt sur le long terme. Ce cycle est rompu par la déforestation et le réchauffement climatique. Ces deux facteurs conduisent en effet à un climat sec dans lequel une forêt ouverte, semblable à une savane, remplace la forêt tropicale.
Cela produit également un autre télécouplage, car la savanisation de l’Amazonie entraîne une surchauffe et une sécheresse, tant dans le sud productif du Brésil que dans la lointaine Europe.

Nubes tipo palomitas de maíz formándose sobre la selva a orillas del Amazonas
Pourquoi le Brésil brûle-t-il ?
La destruction de l’Amazonie et du Pantanal est étroitement liée aux incendies, qui touchent des centaines de milliers de kilomètres carrés. En 2020, une zone plus grande que l’ensemble du Portugal a déjà été brûlée. Paradoxalement, les grands incendies d’origine naturelle (foudre) sont rares dans l’environnement humide de l’Amazonie. Presque tous les incendies sont intentionnels et ont pour but d’étendre les cultures et les pâturages. Ils ont donc pour origine l’agro-élevage.

Incendios en Amazonia (A, con focos señalados en rojo) y Pantanal (B)
À petite échelle, la dégradation des forêts par le feu accélère la déforestation. Les petites forêts souffrent davantage de la sécheresse et accumulent les déchets inflammables. En outre, elles sont envahies par les herbes des pâturages à bétail, dont beaucoup sont des espèces exotiques très résistantes au feu (figure 1C).

Sabanización de la selva por quemas recurrentes e invasión de hierbas
Le contexte sociopolitique
La déforestation de l’Amazonie s’est accélérée dans les années 1970, avec pour toile de fond l’autoritarisme politique. À l’époque, la dictature militaire a voulu favoriser l’intégration de cette région en pratiquant un développement de type nationaliste, appelant à « combattre l’enfer vert » et « empêcher l’Amazonie de tomber entre les mains d’intérêts étrangers ».
Au début du 21e siècle, la grave déforestation et de nombreux incendies ont relancé la pression sociale et environnmentale contre les intérêts agricoles et forestiers en Amazonie. Cela a poussé Marina Silva, ministre de l’environnement du gouvernement de Luis Inácio Lula, à développer des actions de contrôle. Il s’agissait notamment d’établir la traçabilité du soja et de la viande avec le soutien des entreprises privées, de limiter les crédits aux propriétés agricoles impliquées dans la déforestation illégale et de créer une ceinture de réserves naturelles pour contenir le front de la déforestation. Ces mesures ont permis de réduire le taux de déforestation jusqu’à 70 %, tout en augmentant la productivité agricole.
Au cours de la dernière décennie, le lobby agricole a gagné en importance politique. Touchés par les mesures de protection de l’environnement qu’ils jugent excessives, certains pans de ce secteur ont trouvé dans l’actuel gouvernement de Jair Bolsonaro un allié. Son objectif est de réinterpréter la notiuon de protection de la diversité biologique et culturelle en la qualifiant d’obstacle à la croissance économique du pays. L’alliance de l’industrie agroalimentaire et de cette politique gouvernementale génèrent donc une nouvelle vague d’augmentation de la déforestation et des incendies.

Tapir desplazándose entre los fragmentos del bosque amazónico a través de los cultivos zoomable
Le programme gouvernemental de Bolsonaro ne fait même pas référence à des mots comme Amazone, changement climatique ou déforestation. Par contre, il a démantelé la justice et l’administration environnementale du Brésil. Il a réduit le financement des bureaux des procureurs chargés des crimes environnementaux et il les a rendus inutiles en transférant une partie de leurs responsabilités aux forces armées (que la loi ne peut pas sanctionner).
Il a réorganisé les agences scientifiques environnementales en substituant leurs techniciens et modifié les lois environnementales qui ne nécessitaient pas l’aval du Parlement. Il a aussi proclamé son intention de retirer le Brésil de l’accord de Paris sur le changement climatique.
Il est possible de stopper la catastrophe au Brésil
Le pays peut encore renverser ce scénario de désolation environnementale, sans limiter la prospérité de la population de l’Amazonie et du Pantanal. En plus de récupérer la capacité d’action en justice contre la déforestation, il doit pour cela développer des stratégies rendant l’agriculture plus durable. Cela va de l’amélioration de la production en tirant parti des services écosystémiques (tels que la lutte contre les parasites) à l’augmentation de l’assistance technique publique aux petits producteurs traditionnels.
Il est tout à fait possible d’exploiter les ressources naturelles de grande valeur de l’Amazonie avec des méthodes qui sont compatibles avec la conservation de sa biodiversité. Par exemple, la récolte directe de graines et de fruits, tels que les noix du Brésil et l’açaï, permet d’obtenir des rendements à l’hectare plus élevés que ceux des exploitations bovines ou de soja. Les communautés locales peuvent également lutter contre la déforestation grâce à des initiatives telles que REDD+, qui rémunère les propriétaires de forêts pour leurs services dans la lutte contre le changement climatique.
Nous, les citoyens du monde, pouvons profiter des réseaux sociaux pour participer à cet effort pour la conservation du Brésil depuis chez nous. Nous pouvons soutenir les campagnes visant à changer les politiques environnementales, exiger la responsabilité de la part des multinationales de l’agroalimentaire, n’acheter leurs produits que lorsqu’elles disposent de certificats environnementaux honnêtes et forcer nos banques à réaliser leurs investissements (avec nos économies) au Brésil selon des critères de durabilité.
Que cela nous plaise ou non, de lointains problèmes sociaux et environnementaux nous concernent. Commençons par être conscient et agissons ensuite.
Votre commentaire