Bolsonaro et ses moulins à vent – Une chronique carioca par temps de pandémie -Pétition pour les peuples indigènes contre le Covid-19

Bonjour,

Dans « une chronique carioca par temps de pandémie », un Français installé à Rio de Janeiro nous raconte pourquoi la pandémie du coronavirus fait exploser le système de santé brésilien. Selon The Imperial College de Londres, qui a comparé le nombre de personne que chaque malade infecté aurait contaminé, soit le Ro, dans 48 pays, le Brésil serait celui où la vitesse de propagation du coronavirus est la plus rapide. Le Ro, soit le nombre de personnes contaminée par un porteur du virus serait de 2,81. Le système de santé brésilien ne peut pas supporter une telle progression exponentielle, il va d’entrer en collapse.

Mais pendant que la maladie se répand à la vitesse d’un cheval au galop, Jair Bolsonaro provoque la crise politique la plus grave de son mandat en renvoyant le chef de la Police fédérale, nommé par son ministre de la Justice Sergio Moro qui démissionne dans la foulée. Le rique d’une destitution de Jair Bolsonaro n’est plus complètement à écarter.

Bonne lecture – Jean-Jacques Fontaine https://visionbresil.wordpress.com

Kits sanitaires et provisions de base, stockés en vue de distribution à la Cidade de Deus.
Vous avez été très nombreux à répondre à ‘appel de l’ONG Jequitiba pour aider dans l’urgence les enfants de la favela Cidade de Deus à Rio de Janeiro et les communautés rurales du Rio Tapajós soutenues par l’association Saude & Alegria de Santarem. Nous avons recueilli 2’274 CHF et versé 5’000 CHF à chacun de ces deux projets, soit un total de 10’000 CHF, le solde dépassant vos dons étant pris sur les réserves de l’ONG Jequitiba. L’ASVI de Cidade de Deus a commencé à distribuer les kits d’urgence sanitaires et les provisions de base aux 200 familles qu’elle accompagne à la Cidade de Deus. Merci infiniment de votre solidarité, la collecte continue !
En CHF sur le compte de l’association ONG Jequitiba, c/ UBS Switzerland, case postale 1211 Genève 2, IBAN CH40 0024 0240 6195 0301L , BIC/SWIFT: UBSWCHZH80A
Ou en Euros sur le compte de Barbara Hepp-Fontaine c/ Crédit agricole des Savoie, 74160 St-Julien-en-Genevois, IBAN FR76 1810 6000 3494 1197 6705 059, BIC/SWFT AGRIFRPP881

 

Les petites phrases du chef de l’État brésilien qu’il faut retenir cette semaine.

 

 » C’est moi qui commande ! » Hélas pour lui, il n’est pas obéi. « Je suis un messie [une allusion à son second prénom, Jair Messias Bolsonaro], mais je ne peux rien faire ! » Et bien, gouvernez président,  lui répond un éditorialiste ! Reprenons dans l’ordre.

Jair Bolsonaro renvoie le directeur de la Police fédérale Mauricio Valeixo, officiellement « pour mettre à sa tête un homme qui puisse lui donner des informations sur les enquêtes en cours. » Réaction immédiate de Sergio Moro, le ministre de la Justice, autorité de tutelle de la Police fédérale, il annonce sa démission avec fracas le lendemain. C’est lui qui avait nommé Mauricio Valeixo à son poste, c’était l’un de ses proches collaborateurs lorsqu’il était juge à Curitiba, chargé des enquêtes sur l’affaire de corruption Lava Jato.

Acte un, vendredi 24 avril 2020: Un renvoi au parfum sulfureux

Sergio Moro convoque la presse pour expliquer les raisons de son départ. Jair Bolsonaro lui aurait confirmé que l’éviction de Mauricio Valeixo « était politique », il en détient la trace de sur sa messagerie Whatshapp et se dit prêt à en apporter la preuve. Derrière ces raisons politiques, il y aurait des enquêtes, menées par la Police fédérale, qui visent deux des fils du président : Flavio, l’aîné, sénateur, soupçonné d’avoir octroyé des faveurs aux milices paramilitaires de Rio de Janeiro pour la construction et la revente d’immeubles édifiés illégalement, dont il aurait utilisé une partie des fonds pour financer sa campagne électorale de 2018.

Mais aussi Carlos, le second, député municipal de Rio de Janeiro, soupçonné d’être l’instigateur de ce qu’on appelle au Brésil la fabrique des fakenews, autrement dit, l’usine à tweets de Jair Bolsonaro. Le Tribunal suprême a décidé de se pencher sur les déclarations de l’ex-ministre, qu’il considère comme graves.

Entre temps, Jair Bolsonaro désigne à la tête de la Police fédérale, en remplacement de Mauricio Valeixo, Alexandre Ramagem, jusqu’alors chef des services secrets. C’est un ami proche de la famille, plus précisément un intime de Carlos Bolsonaro. Alexandre de Morais, juge au Tribunal suprême, barre cette nomination pour raison majeure : risque de collusion entre les parties.

Fou de rage, le président accuse Alexandre de Morais de bafouer son autorité, c’est moi qui commande. Il est tout de même contraint de s’incliner devant les institutions. Il cherche désormais un remplaçant provisoire à Alexandre Ramagem, mais n’a pas renoncé à le confirmer ensuite à ce poste.

Acte deux, samedi 2 mai 2020: la confession de Sergio Moro

Sergio Moro est entendu, pendant près de 8 heures, par trois enquêteurs de la Police fédérale, à la demande du Tribunal suprême. Selon la revue Veja, il fournit toutes les preuves de ses déclarations en mettant à disposition des enquêteurs la totalité de la mémoire de son téléphone portable. La suite dépend maintenant de l’appréciation du juge du Tribunal fédéral chargé du dossier, José Celso de Mello Filho.

Sergio Moro pourrait être inculpé de diffamation si ses déclarations ne sont pas étayées par des faits, au contraire, l’enquête pourrait se poursuivre contre Jair Bolsonaro si le Tribunal suprême estime qu’il a outrepassé ses devoirs de fonction en démettant Mauricio Valeixo. Cela pourrait éventuellement conduire au lancement d’une procédure de destitution devant l’Assemblée fédérale.

C’est un cas de figure très peu probable. Il est en effet constitutionnellement de la compétence du chef de l’État de nommer les hauts fonctionnaires, dont celui qui dirige la Police fédérale. Il n’est pas non plus certain que sa volonté d’être informé des enquêtes en cours au sein viole l’indépendance de cette institution et du pouvoir judiciaire.

S’il y a une qualité qu’on peut toutefois reconnaître à Jair Bolsonaro, c’est son instinct politique sans faille. Il multiplie les provocations, certes, à la manière de Donald Trump son mentor, mais, comme lui, il sait s’arrêter à temps. C’est pourquoi il a reculé — provisoirement — dans l’affaire de la nomination du chef de la Police fédérale [1].

Acte trois, mardi 28 avril: Covid-19 : Bolsonaro messie impuissant.

La crise sanitaire explose au Brésil qui annonce 5 083 morts officiels du Covid-19, 1 000 de plus que la veille. Selon plusieurs spécialistes, le chiffre est largement sous-estimé. En cause, le fait que beaucoup de décès liés à des syndromes respiratoires ne sont pas attribués au coronavirus. On n’en est pas sûr, mais il pourrait y avoir plus de 10 000 morts et 1 million de personnes infectées au Brésil.

Interrogé par un journaliste sur cette explosion des décès, Jair Bolsonaro répond : « Et alors ? » Il poursuit : « Je suis un messie, comme mon nom le précise, mais je ne peux pas faire des miracles ». Réponse du tac au tac d’un éditorialiste : « Et bien gouvernez, Président ! » Jair Bolsonaro apparaît de plus en plus dépassé par la pandémie. Il multiplie les faux pas, en prenant régulièrement des bains de foule, sans masque et sans distance sociale, estimant toujours que cette maladie n’est qu’une petite grippette et que le confinement va tuer plus de monde que la maladie.

Depuis l’apparition de la première victime de la maladie, il multiplie les bons mots, tous plus décalés les uns que les autres. Le 19 avril, Manaus creuse frénétiquement des tombes communes pour enterrer ses morts, Jair Bolsonaro déclare : « Fossoyeur, ce n’est pas mon métier. » Le 24 mars, alors qu’on en est encore qu’au début de la pandémie : « J’ai plus de 60 ans, mais, vu ma constitution d’athlète il ne m’arrivera rien. »

Deux jours plus tard, le 26 mars, il y a 30 morts de plus que la veille. « Il faut étudier les Brésiliens. Quand il plonge dans un égout, il nage et en ressort indemne. Je pense que beaucoup de gens ont déjà été infectés au Brésil, qu’ils ont des anticorps et que le virus ne va pas se propager. »  Le 2 mai, on en est à 6 412 décès officiels et les chiffres ne cessent de grimper.

Acte quatre, dimanche 3 mai 2020: un pandémium de la guerre politique

« En seize mois de gouvernement, Bolsonaro est parvenu à faire de son cabinet un gigantesque pandémonium que la pandémie du coronavirus a transformé en théâtre d’une guerre ouverte », écrit Jean-Yves Carfantan sur son blog Istoé Brésil. Le chef de l’État « est aux soins politiques intensifs », poursuit Jean-Yves Carfantan, « il y aura probablement deux périodes dans la Présidence Bolsonaro. La première a commencé à l’investiture, en janvier 2019, la seconde démarre maintenant. Il n’est pas certain qu’elle soit aussi longue que la première. »

Conscient de l’isolement politique dans lequel il est en train de s’enfoncer, Jair Bolsonaro cherche une issue en direction du marais des partis du centre parlementaire pour se construire un semblant de majorité présidentielle. Ce faisant, il renoue avec les pratiques de la vieille politique qu’il avait tellement fustigée durant sa campagne électorale de 2018 : des faveurs gouvernementales contre des appuis à l’assemblée. Pour y arriver, toujours la même méthode, il menace l’ensemble de ses ministres réticents à accorder de telles faveurs de les démissionner.

Acte cinq, dimanche 3 mai 2020: le marais en ligne de mire

Ce Centrão, auquel le chef de l’État a appartenu durant ses 27 ans de vie parlementaire, regroupe 200 députés. S’il arrive à en faire le plein, Jair Bolsonaro bénéficierait d’une majorité confortable. 172 votes en effet sont nécessaires pour bloquer l’ouverture d’une procédure de destitution. Pas sûr que ça marche, ses supporters potentiels à l’Assemblée sont très divisés. Pas sûr non plus que cela échoue, l’opposition est aussi totalement éclatée…

Pour le 5ème dimanche de suite depuis le début de l’épidémie de coronavirus, Jair Bolsonaro prend un bain de foule dans les rues de Brasilia, sans masque et sans respecter les distances sociales. Il annonce à ses supporters qu’il cogite tout de même de nommer son poulain Alexandre Ramagem à la tête de la Police fédérale, malgré l’interdit prononcé par le juge Alexandre de Morais du Tribunal suprême. Mais finalement, il choisit une fois de plus de biaiser. Il désigne Roberto de Souza, adjoint direct d’Alexandre Ramagem à l’ABIN, les services secrets brésiliens, en annonçant que cette fois, il n’admettrait plus « de nouvelles interférences dans son gouvernement ». Fin provisoire de l’épisode…

Les tragédies classiques s’écrivaient en cinq actes, Jean-Yves Carfantan promet de nous en offrir un sixième sur son blog Istoé Brésil ; Bolsonaro (2), à suivre… jusqu’en 2022 [2] ?

[1] Pour mieux comprendre les rouages de la politique institutionnelle brésilienne, ce dossier (en espagnol) du site en ligne The Conversation :https://theconversation.com/coronavirus-la-singularidad-del-brasil-de-bolsonaro-137574
[2] https://www.istoebresil.org.

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Une chronique carioca par temps de pandémie

Sortie d’hôpital d’un médecin guéri du Covid à Curitiba

C’est sur le blog Dictionnaire amical du jardin océanique sur  https://wordpress.com que Christian Pouillaude, un Français installé depuis de nombreuses années à Rio de Janeiro, nous fait part de ses observation de confiné dans la Cidade Maravilhosa. Ses 6 millions d’habitants sont parmi les plus touchés du pays par la pandémie. Plus dans les périphérie et dans les favelas, bien évidemment, que dans les quartiers résidentiels où vit Christian Pouillaude. Je reproduis avec plaisir ce texte très pertinent.

Tout indique que le Brésil est entré dans la phase aiguë de l’épidémie : nombre d’infectés et de morts en explosion, hôpitaux en surchauffe dans de nombreuses grandes villes, expansion rapide vers de nouvelles régions et vers de plus petites villes de l’intérieur, saturation des activités funéraires dans les villes critiques…. On commence aussi à avoir une idée plus précise et documentée des chiffres réels après un mois et demi de pandémie active. La Fiocruz de Rio estime que le nombre de morts est supérieur de 50% au chiffre officiel du système de santé, de nombreux décès dus au Covid étant classés comme maladies pulmonaires ou de « cause inconnue ». Quant au nombre d’infectés, en l’absence quasi-totale de tests, il faudrait le multiplier par au moins 10, sur la base d’une étude réalisée sur la population du Rio Grande do Sul. Aujourd’hui le Brésil compterait donc déjà plus de 10 000 morts et un million de personnes infectées.

Collapse

Oui, de la rigueur scientifique bienvenue avec la Fiocruz contre le coronavirus

C’est le mot de la semaine, hélas. Le désormais ex-ministre de la Santé, H. Mandetta, avait déclaré au tout début de la pandémie, que si le Brésil n’agissait pas rapidement et fortement, le système de santé de ses principales grandes villes entrerait « en collapse » à la fin avril. On y est et c’est ce qui est arrivé. Mais, c’est bien connu : ça ne sert à rien d’avoir raison avant tout le monde !

Le système de santé publique est désormais saturé à Rio, São Paulo et de nombreuses autres capitales. Il n’y a plus de places dans les unités de soins intensifs. Les files d’attente commencent à s’allonger et de plus en plus de malades restent chez eux sans aucune assistance. Cette crise révèle crûment tous les dysfonctionnements qui ont conduit à une telle situation. La belle coordination initiale entre les niveaux fédéral, régional et municipal a volé en éclats, sous la trop forte pression et les conflits politiques. Les difficultés d’achats de matériel, en particulier des respirateurs, essentiellement en Chine, trahissent une totale absence d’organisation et de planification et un grand amateurisme, aggravés par le fait que le Brésil est en queue de la file d’attente. A Rio était prévue la construction en urgence de neuf hôpitaux de campagne. Un seul est sorti dans le délai prévu : le seul géré par l’initiative privée ! Faiblesses connues de la gestion publique. On semble avoir oublié l’évidence : pour soigner un malade, il faut non seulement un lit mais aussi du matériel et surtout du personnel. Celui-ci fait de plus en plus défaut, en raison du nombre de médecins et d’infirmiers/infirmières, eux aussi victimes du coronavirus. Le collapse risque de durer.

Aux soins intensifs des hôpitaux soignant le Covid

Mais il faudrait aussi parler du système de santé privé, majoritaire dans le pays et en particulier à Rio (plus de 60% des lits), dont la majeure partie est gérée par des institutions religieuses, catholique, évangélique et spirite. On en parle bien peu dans les médias. Il a aussi un rôle à jouer. Il semblerait qu’il ne soit pas encore saturé (65% de taux d’occupation des lits). Il y a des collaborations et des échanges ponctuels avec le système public mais on a quand même l’impression que ce sont deux mondes à part. A l’image de la société.

Déconfinement

L’isolement social – le confinement – s’est clairement relâché tout au long du mois d’avril. Si 60% des brésiliens le plébiscitaient en début du mois, ils ne sont plus que 52% à le soutenir à la fin, alors que 46% préféreraient désormais l’isolement vertical, préconisé par Bolsonaro (mais dont on sait parfaitement qu’il ne marche pas !). Mais, malgré tout, au final 70% des brésiliens déclarent continuer à pratiquer le confinement.

Sept semaines, c’est déjà long, très long, trop long. Il faut rappeler que le confinement a commencé ici en même temps qu’en France alors que la pandémie a près d’un mois de décalage. Anticiper pouvait être une bonne stratégie pour gagner du temps. Mais, d’une part, il fallait mettre à profit ce délai pour bien préparer le système de santé : ce qui ne semble visiblement pas avoir été bien fait. D’autre part on savait que l’on mettait à rude épreuve la patience des Brésiliens, qui en plus n’arrivaient pas à identifier un danger proche et réel, justifiant cette obligation de « rester à la maison ». On connait les « ennemis » du confinement, nombreux ici à Rio : la pression économique, le mode de vie hédoniste, l’intense vie sociale, les orientations flottantes des maires, la propagande bolsonariste… La gestion de ce confinement est devenue compliquée pour les autorités. Les gouverneurs de São Paulo et de Rio menacent régulièrement de sévir en le renforçant et en pénalisant les infractions mais ils savent parfaitement que ce sera probablement peu efficace et pas du tout populaire. Reste à compter sur l’effet dissuasif de l’explosion de la pandémie : de plus en plus de paulistes et de cariocas vont avoir des parents, des amis, des voisins atteints par le virus ; ils vont de plus en plus être confrontés à des reportages télévisés traumatisants. Triste d’en arriver là. Un petit signe positif démontre toutefois la préoccupation de tous avec le virus : la généralisation rapide du port du masque, pour ce que je peux en juger. Avec le risque que l’on considère que cela suffit pour être protégé.

Ministère de la Santé

Le nouveau ministre de la Santé est un mystère : depuis sa nomination, il y a plus de 15 jours, il n’a pris aucune position officielle, ni rien entrepris. Il voulait d’abord y voir clair sur la réalité des chiffres : on risque d’attendre la fin de la pandémie. D’un côté, il rappelle que le confinement est incontournable car il n’y a aucune alternative sanitaire ; d’un autre il se déclare totalement en phase avec le président et dit préparer une stratégie de déconfinement rapide et sélectif ! Faudrait savoir.

Nelson Teich, un ministre de la santé un peu perdu

Je remarque qu’il a été contraint de changer les deux anciens adjoints de Mandetta, dont un épidémiologiste réputé et un grand professionnel de médecine publique, remplacés par un général d’active, spécialiste de logistique, et par un politicien d’un parti que Bolsonaro vient « d’acheter » et pour lequel ce ministère offre de belles opportunités d’enrichissement illicite.

Une certitude : ce n’est plus le ministère de la Santé brésilien qui va piloter et mener le combat du pays contre la pandémie.

Compassion

À un journaliste qui le questionne sur le chiffre (officiel) de 5 000 morts que le Brésil venait d’atteindre, dépassant ainsi la Chine, Jaïr Bolsonaro répond avec sa spontanéité habituelle : « Et alors ? C’est triste. Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Même si je m’appelle Messie (Messias est son deuxième prénom), je ne fais pas de miracle ! ». Il exprime ainsi le fond de sa pensée. Il ajoute : « Mais y a-t-il ici quelqu’un qui me filme ? ». A la réponse positive, il enchaîne par un petit discours convenu, politiquement correct mais sans affect de condoléances aux victimes du Covid et à leurs familles. A l’indifférence assumée, il ajoute un froid cynisme.

On ne peut que constater sa constance sur ce sujet. Il n’a eu de cesse de minimiser la pandémie : petite grippe, exagération voire hystérie des médias, décès ne touchant que les vieux et les malades (sous-entendu : pas grave !) …. Il n’a eu de cesse d’afficher son fatalisme résigné : c’est la vie, on meurt tous un jour, il faut laisser passer la vague, on va tous finir par être immunisés… Désormais il se dégage aussi de toute responsabilité, allant jusqu’à proclamer que ce sont les pays qui ont pratiqué le confinement qui ont eu le plus de victimes. Donc c’est aux gouverneurs et aux maires de répondre des morts devant le peuple brésilien. Pas à lui, qui n’y est pour rien puisqu’il a toujours été opposé au confinement généralisé. Sa rhétorique manipulatoire n’a pas de limite. Il prépare déjà sa « narrative » (story-telling) post Covid.

Mais cette dernière déclaration a beaucoup choqué le Brésil où la compassion a une place essentielle dans les relations humaines, alimentée par le sentimentalisme et « l’émotionnabilité » de tout un peuple. Surtout à un moment où la crise du Covid met à mal cette compassion si habituelle, si naturelle. Au Brésil, face au malheur, face à la difficulté, on exprime, on extériorise sa solidarité en s’embrassant, en s’enlaçant, en se serrant dans les bras et surtout en pleurant ensemble. Plus possible par temps de pandémie. Mais il y a bien pire : les malades gravement atteints par le virus sont placés en soins intensifs et donc vite isolés de leur famille et de leurs amis et si par malheur, ils décèdent, leur corps est immédiatement mis dans un linceul spécial puis dans un cercueil, sans que leurs proches ne puissent plus les voir pour un dernier adieu post mortem, ni même avoir la certitude que c’est bien le cercueil de leur être cher qu’on leur présente. Les enterrements se déroulent en tout petit comité et à la va vite. A Manaus certains se sont déroulés quasi clandestinement, les familles tenues à l’écart, de nuit et dans des fosses communes. C’est le comble de l’horreur. Aucune place à la compassion. Le travail de deuil va être bien difficile.

Mais l’énergie vitale de ce peuple ne cessera de m’étonner. Sans doute, par réaction instinctive, les Brésiliens ont transformé les sorties d’hôpital des patients guéris en de véritables « fêtes » de communion et d’empathie, animées par le personnel médical : on peut alors applaudir, s’émouvoir et pleurer à volonté, tous ensemble ! Enfin, un peu d’humanité… C’est bon.

Christian Pouillaude

Cet article est le 7ème de cette chronique carioca par temps de pandémie. Vous pouvez retrouver les autres articles en cliquant ici (https://dictionnaireamicaldujardinoceanique.wordpress.com/)