L’Amérique latine en émoi, le Brésil en état de résignation – Synode pour l’Amazonie – l’agro-industrie brésilienne contre Bolsonaro
Bonjour,
En ce 28 octobre 2019, on aurait pu s’attendre à une déferlante de commentaires à propos du maigre bilan de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil, un an après son élection. Il n’en est rien. Personne ou presque, dans la presse, n’évoque cet anniversaire. Ce sont au contraire les convulsions qui ébranlent les autres pays du sous-continent qui sont à la Une.
À Santiago du Chili, Sebastian Piñera démonte tout son gouvernement après une manifestation de rue monstre qui oblige ce chantre du néo-libéralisme à lever l’état de siège décrété quelques jours plus tôt. À Buenos Aires, les Argentins, dont près de 30 % ne mangent plus à leur faim, s’apprêtent à répudier la même politique de Mauricio Macri et élire un péroniste, secondé à la vice-présidente par Cristina Kirchner, pourtant sous enquête pour corruption durant son mandat. À Montevideo, au contraire, les Uruguayens pourraient se choisir un président de droite, mettant fin à 15 ans de pouvoir de la gauche, inauguré avec le premier mandat de Pépé Mujica, ex-guérillero des Tupamaros. À Quito, les mouvements indigènes sont dans la rue pour faire tomber Lenine Moreno et à La Paz, l’aura de gouvernement d’Evo Morales se fane, il devra vraisemblablement affronter un second tour s’il veut être réélu. Au Brésil rien, sinon un calme résigné. Que se passe-t-il en Amérique latine ?
Prochaines présentations de mes livres Le Brésil de Jair Bolsonaro, chroniques avril-mai 2019 et Amazonie en feu, état d’urgence :
Mardi 29 octobre, 18 :00 – Université de Lausanne, bâtiment Géopolis, soirée organisée par l’association des étudiants d’Amnesty international
Jeudi 31 octobre, 18 : 00 – Librairie du Boulevard, 34 rue de Carouge, 1205 Genève
Samedi 2 novembre, 14 : 30 /16 : 30 – Librairie Payot – Lausanne, 4 place Pépinet.
« Les libéraux ont toujours considéré le Chili comme leur grande référence en Amérique latine », analyse Mauricio Santoro, professeur de Relations internationales à l’université d’État de Rio de Janeiro (UERJ). « C’est une vision très réductrice, car elle laisse sur le bord de la route une multitude de problèmes sociaux, dont l’impact — très sous-estimé — de l’augmentation de l’inégalité dans ce pays. »
Droite – gauche, même constat
« Les attentes frustrées et la perte de crédibilité des politiciens ont dynamité la patience de millions de personnes, c’est ce qui explique les protestations qui se succèdent du nord au sud de la région, » complète Javier Lafuentes, correspondant de El Pais à Mexico. « L’aveuglement face aux questions sociales n’est cependant pas une exclusivité des libéraux », ajoute Mauricio Santoro. « La gauche brésilienne, par exemple, a une très grande résistance à prendre en compte les difficultés que traversent le Venezuela, la Bolivie ou Cuba. Comme la vie politique en Amérique latine est très polarisée, c’est très difficile d’avoir une réflexion ouverte sur ces questions. »
Ce serait pourtant une erreur de ne regarder ces convulsions qu’à partir du prisme droite-gauche. Selon le dernier baromètre politique Latinobarometro, 75 % des sondées jugent que les dirigeants en place, quelque soit leur couleur politique, gouvernent au profit d’une minorité et ne défendent pas les intérêts de la majorité. 12 % considèrent qu’il n’y a pas de pleine démocratie dans le sous-continent contre 5 % seulement qui prétendent que les institutions sont totalement démocratiques.
Les conséquences de la récession
« Il y a des présidents qui sont minoritaires et qui se croient majoritaires. Ils n’ont pas l’appui de leurs congrès respectifs, cela génère une paralysie générale et une crise de représentativité » analyse Arturo Valenzuela, ancien sous-secrétaire d’État pour l’Amérique latine du gouvernement Obama. Il considère qu’une série de réformes politiques doivent être entreprises pour sortir de l’impasse.
Ce ne sont pourtant vraisemblablement pas des raisons strictement politiques qui sont à l’origine des protestations populaires, mais les effets économiques de la récession qui frappe la région. L’Amérique latine semblait avoir traversé indemne la crise mondiale des subprimes en 2008, mais ses effets se font ressentir maintenant. Selon les prévisions de FMI, la région connaîtra une croissance de 0,2 % cette année, soit pratiquement rien — la prévision était de 1,4 % en janvier et encore de 0,6 % il y a trois mois, — alors que les économies asiatiques affichent plus 5,9 % et l’Afrique 3,2 %.
À la recherche d’un modèle de développement
« Alors que le néo-libéralisme s’épuise, le projet national-populaire prend l’eau. La région affronte un problème de fond qu’elle n’arrive pas à résoudre : son modèle de développement. La gauche a privilégié les politiques de redistribution sociale qui ont démocratisé la consommation, mais elle n’a mis en place aucun changement de fond ni économique ni institutionnel, » considère Pablo Stefanoni, historien.
L’inégalité a bien diminué depuis 2000, mais un citoyen sud-américain sur dix vit encore en état d’extrême pauvreté. En 2002, ils étaient 57 millions, 15 ans plus tard, compte tenu de l’augmentation globale de la population, ils sont 63 millions selon la CEPAL. « Un des dénominateurs communs aux explosions sociales auxquelles on assiste, ce sont les attentes frustrées, la rechute dans la précarité des personnes de la classe moyenne qui avaient pu songer à un moment donné à plus de confort et voient leurs rêves s’effondrer. Cela provoque une énorme fureur, » conclut Arturo Valenzuela.
Le silence du Brésil…
Dans ce contexte, la question se pose donc : pourquoi cette forme de printemps latino-américain touche-t-elle quasi tous les pays du sous-continent ? Sauf le Brésil. Le Brésil qui pourtant avait été le premier à s’insurger, c’était en 2013, à cause d’une hausse annoncée des tarifs des transports publics, contestation qui avait débouché sur beaucoup d’autres revendications sociales et de citoyenneté — exactement comme au Chili aujourd’hui —, mais qui ne s’étaient finalement traduites par presque rien. Vladimir Safatle, psychanalyste et professeur de philosophie à l’université de São Paulo apporte un début de réponse :
« Les rues de Santiago s’enflamment et au même moment, le même projet ultra-libéral et autoritaire s’impose au Brésil à travers la réforme de la prévoyance sociale. Une réforme qui, comme ailleurs, n’emmènera pas les travailleurs au paradis. Au contraire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Moins de 3 % des familles brésiliennes accaparent 20 % de la fortune totale du pays. En 2018, le 1 % des plus riches a vu son revenu croître de 8,4 % alors que celui des 5 % les plus pauvres a chuté de 3,2 %. Ne nous trompons pas, le Chili est ici ! Alors pourquoi ne manifeste-t-on pas ?
Un gouvernement contre l’État
Il y a une donnée importante qui différencie le Brésil des autres pays : ceux qui occupent actuellement le pouvoir se définissent comme une force anti-institutionnelle. Ils affirment en permanence opérer une révolution dans le pays. De cette façon, ils mobilisent constamment l’opinion selon une logique le gouvernement contre l’État. Jair Bolsonaro tient un discours qui feint d’être réceptif aux revendications. Avec des arguments du genre : je partage votre mécontentement, depuis que je suis arrivé au pouvoir je lutte contre des forces, au parlement et même au sein de mon propre parti, qui veulent m’empêcher de gouverner. Je vous demande plus de pouvoir contre ces forces occultes qui dominent la politique nationale et empêche un non-politique comme moi d’agir. »
Une observation qui confirme ce que j’écrivais en mai dernier dans mon livre Le Brésil de Jair Bolsonaro à propos du MBL, le Mouvement Brasil Livre, qui avait été un des organisateurs des manifestations populaires de juin 2013 puis le fer de lance de la campagne électorale de Bolsonaro en septembre 2018. Aujourd’hui, certains des ténors du MBL ont pris leurs distances avec le président en exercice, mais le parti en tant que tel lui reste fidèle.
Un laboratoire du néo-libéralisme autoritaire?
Il y a un mois, dans une chronique du journal le Monde, Vladimir Safatle s’inquiétait du devenir de la démocratie mondiale au vu de ce qui se passe au Brésil : « Nous réalisons tous que le consensus autour de la démocratie libérale n’existe plus, mais nous ne savons pas jusqu’où cette disparition peut nous mener. En ce sens, il est possible que le Brésil soit aujourd’hui un laboratoire mondial dans lequel sont testées les nouvelles configurations du néo-libéralisme autoritaire, où la démocratie libérale est réduite à une simple apparence.
Un an auparavant, juste après l’élection de Jair Bolsonaro, le même Vladimir Safatle écrivait, prémonitoire : « ce nouveau régime est post-traumatique. Il y a cinq ans, on promettait aux Brésiliens la place de première économie mondiale. Désormais, c’est un pays dont l’économie est en chute libre et dont l’ex-président est en prison. Dans une telle situation, il y a deux possibilités. Soit la souveraineté de l’État revient au peuple, qui devient alors l’agent de sa propre transformation. Soit le peuple donne la souveraineté à une figure de pouvoir central un peu magique, qui mêle le désenchantement et la rage. Le Brésil a fait le second choix. »
Un constat préoccupant pour demain…
29 octobre 2019 at 10:36
Bonjour M. Fontaine
Je co dirige le centre de danse du marais (www.centrededansedumarais.fr) et nous organisons une journée « Brésil et l’AmSur » un dimanche de janvier : projection (la cité de dieu)/ conférence/ danse (samba) et apero bresilien. Le centre de danse du marais est un centre de danse depuis 50ans dans un hôtel particulier du 17e siècle dans le marais à Paris.
Nous souhaiterions vivement vous inviter à parler lors de cette journée. Pouvons nous en discuter ? Je suis joignable sur info@centrededansedumarais.fr
Merci d’avance pour votre réponse
Bien à vous
Sarah Braunstein