Après la France, l’Autriche, elle non plus, ne veut pas de l’accord avec le Mercosur. Mercredi 19 septembre, conséquence de la crise amazonienne, le parlement autrichien a astreint le gouvernement à s’opposer à la signature de l’accord commercial passé entre l’Union européenne et le Mercosur. En cause, les doutes sur les engagements du Brésil en faveur du climat. L’accord UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) conclu en juin, par la Commission européenne, au nom des États membres doit être validé par chacun de ces derniers pour entrer en vigueur. Cette ratification exige l’unanimité des chefs d’État et de gouvernement. – © RTS 19.09.2019
Angelim Vermelha
Ces dernières semaines, au milieu de tant de nouvelles préoccupantes sur le déboisement, une information curieuse et positive a retenu l’attention. Une équipe de scientifiques britanniques et brésiliens affirment avoir rencontré l’arbre le plus haut de la portion de forêt amazonienne qu’ils étudiaient, une bande de terre de 12 km sur 300 m. L’arbre en question mesure 88 mètres de haut, soit presque la hauteur de la Statue de la Liberté de New York (93 mètres) et bien plus que le Christ Rédempteur qui domine Rio de Janeiro de ses 38 mètres.
Il s’agit d’un géant de l’espèce Dinizia excelsa, appelé communément Angelim Vermelho. Ce pourrait être une espèce pionnièreapparue après un épisode inconnu de dévastation. Autour de ce mastodonte, sept autres arbres de plus de 70 mètres ont été décomptés. L’expédition a parcouru 220 km en bateau puis 10 km à pied pour arriver sur les lieux. « L’éloignement maximum de toute zone urbaine explique peut-être pourquoi ces arbres atteignent de telles dimensions. Et il y a certainement d’autres endroits de la forêt qui en abritent aussi », peut-on lire dans le rapport publié par l’équipe de chercheurs.
Au-delà du record, l’intérêt de cette découverte est très grand, car, vu sa taille, Angelim Vermelho peut à lui seul absorber la même quantité de CO2 qu’un hectare de forêt tropicale soit l’équivalent de ce qu’absorbent 300 à 500 arbres plus petits. « Notre découverte signifie que la forêt amazonienne pourrait éventuellement être un puits de carbone beaucoup plus important qu’on ne le pense et modifier notre perception du rôle de cette forêt dans le cycle global du carbone », concluent les scientifiques.
Et puis je vous signale encore cette émission de Geopolitis, diffusée par la RTS et TV5Monde le 22 septembre 2019 : Amazonie, éteindre le feu :
https://pages.rts.ch/emissions/geopolitis/10625967-amazonie-eteindre-le-feu.html
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Le dernier jour de Raquel Dodge
Écartée par le président Jair Bolsonaro de la course au renouvellement de son mandat, la procureur générale Raquel Dodge a multiplié, au dernier jour de son mandat, les interpellations au Tribunal Suprême. Une manière de laisser tout de même sa marque avant de céder la place et de signifier son désaccord avec certaines des orientations légales que tente d’imposer le nouveau président. Elle demande ainsi au STF d’annuler le décret de Jair Bolsonaro facilitant l’accès aux armes. Il serait en contradiction avec le statut du désarmement introduit dans la Constitution en 2003.
De même, elle suggère au Tribunal Suprême de n’approuver « aucun acte, dans le domaine de l’enseignement, qui s’apparente à une discrimination des professeurs à cause de leurs idées, comme c’est le cas dans le projet écoles sans parti ou des directives concernant l’orientation sexuelle des élèves. » Le projet écoles sans parti vise très directement les enseignants sympathisants du Parti des Travailleurs, ou d’autres formations de gauche. Les directives concernant l’orientation sexuelle des élèves, elles, veulent criminaliser l’homosexualité ou les assimiler à une pathologie qu’il faudrait soigner.
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Violence baisse à Rio de Janeiro, mais pas pour tout le monde.
Selon les statistiques officielles, le nombre de victimes de la violence a diminué de 21 % au premier semestre 2019. La létalité provoquée par les interventions policières dans les favelas, par contre, a explosé : plus 16 % d’après les chiffres du Réseau des Observatoires de la Sécurité un système de vigilance citoyenne mis en place par le CEDEC, le centre d’études de la sécurité et de la citoyenneté de l’Université Candido Mendes de Rio de Janeiro. Ce constat a inspiré à Flavia Oliveira, journaliste et cheffe de la rubrique Société du quotidien O Globo, un éditorial virulent que je reproduis ici en version française.
« Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier le quotidien de brutalité auquel sont exposées les favelas de Rio de Janeiro depuis que le gouverneur Wilson Witzel a débarqué au Palais de Guanabara. Achille Mbembe, philosophe camerounais, résume à la perfection la banalité des opérations de police menées au moyen de blindés sur terre et d’hélicoptères dans le ciel. Des incursions qui provoquent panique et mort là où vit en majorité une population noire et pauvre, sans que cela apporte la moindre parcelle supplémentaire de sécurité. Ce mot d’Achille Mbembe, c’est : nécropolitique.
Une politique de mise à mort
Il s’agit d’une politique de mise à mort. Le pouvoir dicte qui doit vivre et qui doit mourir. Il agit au quotidien sur divers territoires nègres de la périphérie, ces favelas identifiées désormais comme le réduit d’un ennemi qui doit être combattu. Il est désormais établi que les corps humains qui peuplent ces quartiers sont massacrables, que ces vies ont moins de valeur que d’autres et qu’on peut, par conséquent, s’en passer. Ces paroles sont de Juliana Borges, chercheuse en anthropologie et auteur de “Qu’est-ce que la détention de masse” (Pólen Livros 2018).
L’auteure y fait le lien entre les pratiques qui sont à l’origine du système esclavocrate brésilien et la politique de sécurité actuelle. Juliana Borges compare la politique mise en place par l’alors maire de São Paulo João Doria, dans le cadre de la dispersion des usagers de la scène de la drogue de la région centrale de la capitale, appelée Cracolândia, qui s’inspire des méthodes répression de l’époque esclavagiste avec le mode d’intervention de la police de Rio de Janeiro qui a gagné du muscle depuis que le discours électoral de Wilson Witzel, un candidat, jusqu’alors inconnu, devenu gouverneur, s’est matérialisé dans les favelas.
Les témoignages abondent
Nous ne manquons ni de dénonciations, ni d’images, ni de chiffres pour confirmer cette escalade de la violence de l’appareil d’État dans les favelas. Des habitants ont enregistré sur leurs téléphones portables la démolition de baraques au passage d’un blindé dans la Cidade de Deus. Les images d’hélicoptères, avec des policiers aux portes, tirant sur la population d’en haut, se multiplient.
Witzel lui-même a participé d’une de ces opérations dans les airs à Angra dos Reis. En août, six jeunes, cinq garçons et une fille, qui n’avaient rien à se reprocher, ont perdu la vie dans le Grand Rio, à cause des balles perdues. Cette semaine, un accrochage entre la police et des trafiquants a interrompu la circulation des trains de banlieue durant une heure à Jacarezinho, faisant quatre morts. Avant-hier, dans le Complexe de l’Alemão, six personnes ont été tuées au cours d’un affrontement et un policier gravement blessé. Des centaines d’enfants n’ont pas pu se rendre à l’école.
Dans le secteur de la Maré, les élèves ont dû se réfugier dans les corridors pour se protéger des tirs. La situation est tellement grave que des représentants de la société civile et des communautés de favelas ont fait recours auprès du Ministère public de Rio de Janeiro. De son côté, le Ministère public fédéral demande à l’ANAC, l’organe de régulation du trafic aérien, de surveiller les vols des hélicoptères des forces de sécurité de Rio. Le Ministère demande à l’ANAC de se charger, entre autres, d’autoriser les transports d’armes par ces hélicoptères et de contrôler les tirs effectués depuis leur bord ainsi que tout autre jet d’objets.
Homicides en hausse régulière
De janvier à juillet, 1 075 homicides sont survenus à la suite d’interventions policières dans l’État de Rio de Janeiro indique l’Institut de Sécurité publique (ISP), un record historique. Ces homicides ont été au nombre de 1 697 jusqu’en août, résultant d’échanges de tirs, d’après le Réseau des Observatoires de la sécurité. Depuis début 2019, la plateforme Fogo Cruzado qui comptabilise les tirs dans la région métropolitaine de Rio a dénombré 63 épisodes de violence ayant provoqué la mort de trois civils au moins chacun. Dans 49 % des cas, en présence de policiers. Par rapport à 2018, c’est 31 % d’affrontements supplémentaires, avec, dans 58 % des cas, participation d’agents de sécurité et 21 % de morts de plus.
« On peut parler d’une politique d’extermination mise en place par l’appareil d’État qui impose la mort à la population noire et renforce l’idée que la vie dans toute sa plénitude est un privilège exclusif de la blanchitude”, résume Thula Pires, professeur de Droit constitutionnel à l’université catholique de Rio de Janeiro (PUC). “La nécropolitique n’a pas été inventée sous le gouvernement Witzel, mais elle a atteint, dans le cadre de l’actuelle gestion de ce dossier par les autorités, un tel niveau d’exacerbation qu’on ne peut plus la passer sous silence ou la simplifier.”
– © Flavia Oliveira, O Globo, 20/09/2019
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