« Bravo pour l’action de la police. Elle nous a délivrés de 13 vermines — mieux ça aurait été 16. Désormais, ce sera comme ça : aucun policier blessé et les identités des malfaisants rayées de la carte ».

« Quand on parle de confrontation, il faut lire exécution. C’est comme ça que procède la police militaire. La loi de l’exécution est déjà en vigueur avant même d’avoir été proclamée. Avec la libéralisation du port d’armes, il faut s’attendre à une nouvelle guerre à Rio ».

Ces lettres de lecteurs contradictoires, parues ce lundi 11 février dans le quotidien O Globo, cernent bien l’enjeu de ce qui s’est passé dans la nuit du 8 au 9 dans un complexe de favelas du centre de Rio de Janeiro. Épisode dont la presse fait d’abord un compte-rendu succinct et assez neutre.

 

« Fallet-Fogueteiro et Morro da Coroa, où habitent 9 000 personnes, vivent une guerre des trafiquants. Les deux favelas sont face à face, séparées seulement par une rue et sont dominées par deux factions différentes qui se battent pour le contrôle du trafic de drogue dans la région. Le vendredi 8 février, la police est informée que 20 bandits en fuite se cachent dans une maison du Morro de Fallet. Le bataillon de choc de la police militaire monte une opération, les forces de l’ordre sont accueillies par des tirs, il y a confrontation, 13 personnes sont mortes, 11, faites prisonnières ».

Un massacre programmé selon des témoins

Version contestée par la population de Fallet, de Coroa et de la favela voisine de Prazeres : il y a eu massacre de personnes sans défense. Les victimes ont été exécutées alors qu’elles se rendaient à la police. Le site The Intercept Brasil a remonté la piste pour en savoir plus.

« Ils vont envahir le Morro da Coroa à Catumbi. J’ai reçu ce message par whatsapp le premier février. Six jours après, la prophétie s’est réalisée. Pendant les trois jours précédents, il y a eu des échanges de tirs avant que la police n’intervienne. Mais quand elle est arrivée, elle a fait 13 morts, dont 10, dans la maison d’une personne qui n’avait rien à voir avec le trafic, dans la favela de Fallet-Fogueteiro, également contrôlée par la faction du Comando Vermelho. Après ils sont partis. Et la famille ? Qu’est-ce qui lui reste ? En dehors du traumatisme psychologique ? »

C’est le fils de la famille où s’est déroulé le massacre qui parle. Il est manutentionnaire, il n’était pas chez lui au moment des événements. À ses côtés, sa mère, qui semble avoir dans les 60 ans est muette de peur. Lui habite une demeure voisine. Son propre fils y était lors de l’irruption de la police. Épargné par les tirs, heureusement. Mais la maison est détruite. Trous de balle à travers le toit, sur les murs, dans les meubles, traces de sang partout…

 Dénégation policière

Du côté des services de la police militaire, le service de presse explique par téléphone :« nous ne pouvons pas confirmer que les tirs d’aujourd’hui aient été effectués par la police militaire ». Peut-être s’agit-il du résultat des échanges de coups de feu du début de la semaine, avant l’arrivée des forces de l’ordre, laisse-t-il entendre en filigrane. Le chargé de presse suggère encore de demander une expertise judiciaire. « Toute action de l’État au cours de laquelle un citoyen se sent lésé requiert de ce dernier qu’il actionne le défenseur public ». Autrement dit, si vous ne faites rien, la police va enterrer l’affaire.

Le chargé de communication précise encore que les 10 tuées l’ont été dans les rues de la favela.« Faux, affirme un voisin de notre témoin, ça s’est passé dans la maison. Les tirs ont été effectués à bout portant, de haut en bas. Les impacts de balle le prouvent. » Josué (nom d’emprunt) se trouvait à 20 mètres de la maison que les policiers ont envahie. « Ils ont fait un cercle pour nous empêcher d’approcher. On est allé sur la gauche et on a tout vu. Après la rafale de tirs, ils ont jeté les corps dans des bennes entreposées dans la rue ». Ce témoignage a été confirmé à The Intercept Brasil par 3 personnes différentes.

 Enquête en cours

Une enquête a été ouverte à la Délégation des Homicides de Rio de Janeiro contre les policiers impliqués dont les armes ont été saisies. Quatre autres personnes ont été faites prisonnières dans une autre maison. Ils s’en sont sortis vivants parce qu’ils ont réussi à négocier avec la police après avoir pris en otage la famille habitant le lieu où ils s’étaient réfugiés.

Cette opération a été celle qui a provoqué le plus grand nombre de morts à Rio de Janeiro dans le cadre d’une action de la police depuis 12 ans. Le nouveau gouverneur Wilson Witzel avait promis durant sa campagne électorale de faire la guerre au trafic. Il est en train de tenir promesse. © Pedro Prado et Cecilia Olliveira, The Intercept Brasil, 9 février 2019.

Exécution programmée

Lors de l’enterrement des victimes, parents et amis révoltés témoignent. Propos recueillis par le journaliste de O Globo sur place :

« Ils ont été exécutés. On ne leur a laissé aucune chance. Oui, ils étaient en mauvaise compagnie, mais ils s’étaient rendus. Comme peut-il y avoir un échange de tirs sans qu’aucun policier ne soit blessé ? » Témoignage des parents de deux des victimes.

« Ils avaient tous entre 15 et 22 ans. On ne croit pas à la version de la police. Elle veut exterminer une génération entière avant qu’elle puisse engendrer de nouveaux chefs du trafic. Mais c’est pas comme ça qu’on doit faire les choses. Où sont les écoles, les orphelinats, les programmes sociaux ? » Des voisins de la maison où se sont déroulés les événements.

Nouvelle impunité policière ?

Au milieu de la foule recueillie du cimetière, quelques pancartes dont celle-ci : « il existe un tribunal de la mort au sein de la police militaire ». Deux des morts dans l’action policière dormaient dans la maison, expliquent leurs voisins. « D’accord, ils avaient des joints de marijuana avec eux. Mais la police a tout de suite tiré. D’abord dans les jambes. On a assisté, mais on ne pouvait rien faire ». « Quelques jours avant de mourir, il m’avait dit vouloir se marier et changer de vie », confie la grand-mère de l’un d’eux. « Il voulait me rassurer. On ne fait rien de mal, il ne va rien nous arriver. Combien de mères encore vont devoir passer par cela ? »

Autre témoignage de la mère d’une des victimes : « la police a fait irruption chez moi après les faits. Ils ont tout retourné et ont jeté du spray au poivre à la figure de mon plus jeune fils. Il a 8 ans. Et ils ont rigolé : bien fait que ton frère soit mort ! » « Des opérations comme ça, il y en a tous les jours, confesse l’ami d’une des victimes. Mais ce n’est pas la solution. Même dans le cas d’un criminel. La place d’un bandit, elle est en prison, pas au cimetière ».

Le chiffre officiel des victimes est de 13, mais les habitants de Fallet-Fogueteiro et Coroa affirment que ce sont 16 morts que cette opération de police a faits. Tout au long de la cérémonie, ce dimanche 10 février, des policiers étaient stationnés à la porte du cimetière, photographient tous ceux qui se rendaient aux enterrements.