Dilma-Rousseff-durante-pronunciamento-após-resultado-das-eleições-2014.

Première proposition de Dilma Rousseff au soir de sa réélection, le 26 octobre dernier : un plébiscite pour élire une Constituante chargée de réaliser la réforme politique. La même promesse exactement que celle faite après les grandes manifestations de juin 2013 et rejetée par le Parlement. Même réaction des Chambres maintenant : un tel plébiscite est anticonstitutionnel, il viole la souveraineté du Congrès. Voilà 20 ans que l’on parle de la réforme politique au Brésil. Rituellement, après chaque scrutin présidentiel, le vainqueur promet de s’attaquer à la question. Jusqu’à présent rien n’a bougé, hormis la multiplication des projets contradictoires.

Qu’est-ce qui bloque? Pourquoi faut-il impérativement réformer la structure politique au Brésil ? Quelles propositions sont actuellement sur la table ? Quelles sont leurs chances de succès ? A l’orée du second mandat de la Présidente Dilma Rousseff, Vision Brésil tente de faire le point sur cette question.

Des dysfonctionnements en série

Parmi les multiples blocages qui pénalisent la vie parlementaire, on peut identifier 3 goulets d’étranglement qui sont responsables du désenchantement des électeurs vis à vis de leurs représentants.

1. Dispersion et opacité,

Bancadas-Câmara-1ª1Le Parlement sorti des urnes le 5 octobre (il n’y a pas de second tour pour le législatif) est composé de 28 partis différents, 4 de plus que durant la législation 2010-2014. Cette dispersion rend pratiquement impossible la constitution de coalitions durables ou d’alliance solides sur les grands dossiers. Chaque décision implique donc de laborieuses tractations pour composer, au cas par cas, une majorité favorable. C’est une énorme perte de temps, et le jeu de donnant-donnant entre députés, qui n’a plus rien à voir avec les orientations politiques fondamentales des différentes formations, paralyse le Congrès lorsqu’il s’agit de faire des propositions de loi. Le législatif perd ainsi son rôle créatif et se transforme en une simple chambre d’enregistrement des suggestions de l’exécutif.

Second problème, l’opacité du système électoral. Les députés fédéraux sont élus au niveau local. Dans chacun des Etats, les différents partis ont toute liberté pour passer des alliances entre eux, indépendamment des choix nationaux. Ce sont les coalitions proportionnelles. Ces alliances opportunistes permettent l’élection, avec très peu de voix, de représentants de partis microscopiques. Cela explique la présence de 28 formations au Congrès, dont certaines n’ont qu’un seul élu.

coligacoes-epocaAinsi un électeur votant pour son candidat peut contribuer contre son gré à élire un représentant d’une formation d’opposition. Et ceci sans le savoir puisqu’il ne découvrira qu’au moment des résultats qu’il a donné implicitement son vote à quelqu’un d’autre ! Le PMDB par exemple, second parti au Parlement avec 66 députés – a passé 166 alliances locales avec d’autres formations pour ces élections. Si cette pratique avait été interdite, le PMDB aurait aujourd’hui 102 élus et il n’y aurait plus en 2015 que 23 partis représentés à la Chambre au lieu de 28.

2. Suppléant pour la vie

Autre dysfonctionnement du système, qui concerne cette fois la Chambre Haute, le Sénat, le principe des suppléances. Les 81 sénateurs (3 par Etat plus 3 pour le District fédéral) sont élus pour 8 ans. Tous les 4 ans, alternativement, un tiers du Sénat est renouvelé, puis 2/3 lors de l’élection suivante. Chaque sénateur est flanqué d’un suppléant, qui est « senadoembarqué » dans son vote et que généralement personne ne connaît. Ce suppléant est destiné à remplacé l’élu lorsque, pour une raison quelconque, ce dernier abrège son mandat. Le suppléant devient donc Sénateur sans que les électeurs ne l’aient choisi.

Résultat, actuellement, c’est à dire avant le renouvellement d’un tiers des élections d’octobre 2014, 29 des 81 sénateurs élus ont été remplacés par leur suppléant au moins une fois et 16 de ces suppléants sont en poste depuis plus de temps que les élus qu’ils ont remplacés !

3. Financement des partis et lobbiysme

financiamentoPour mener leur campagne électorale, chaque candidat de chaque parti dispose d’un financement public, le « fundo partidario » instauré par la Constitution de 1988, qui ne couvre qu’une infime portion des dépenses réellement engagées. Le reste provient des adhérents, d’autres personnes physiques ou de « personnes juridiques », terme qui désigne les entreprises privées. Actuellement 95% des campagnes électorales sont financées par des grandes entreprises.

En 2010, lors des précédentes élections, 19’000 personnes juridiques ont ainsi contribué à la campagne pour un montant total de 2,2 milliards de R$ (880 millions de CHF / 733 millions d’€). La moitié de cette somme a été apportée par seulement 70 entreprises. Ce sont les entreprises du secteur de la construction et de l’agro-alimentaire qui forment le gros de ces donateurs. Des entreprises dont l’activité dépend fortement des décisions politiques affectant les différents Etats.

bancada ruralistaLeur financement est donc ciblé sur les députés de ces Etats, afin qu’ils défendent au Parlement fédéral, les intérêts de ces entreprises agissant localement. On assiste alors à la constitution à Brasilia de puissants lobbies, transcendant largement les divisions entre les partis, qui font la pluie et le beau temps au Congrès. C’est le cas notamment des « ruralistes » qui représentent les intérêts de l’agro-industrie ou du lobby des grandes entreprises nationales de la construction.

Quelle réforme et pourquoi ?

reforma_políticaSi tout le monde admet ces dysfonctionnements de la démocratie brésilienne, les solutions proposées divergent fortement selon les intérêts de chaque formation et de chaque élu. C’est l’évidence. Et ces divergences concernent d’abord la manière de mener la réforme, le mode d’élection et le financement des campagnes électorales.

Quatre propositions principales sont aujourd’hui sur la table des négociations : celle du Groupe de Travail du Parlement qui réunit 18 députés de divers partis, celle du Mouvement pour le Combat contre la corruption électorale (MCCE), celle du Parti des Travailleurs (PT) et celle de la Présidente Dilma Rousseff. Aucune n’est suffisamment rassembleuse pour former la base d’un éventuel consensus.

 1. Le Groupe de Travail du Parlement

Formé de 18 personnes de différents partis, il a été mis en place par le Congrès après les manifestations de juin 2013, en vue d’élaborer un projet de loi qui devrait être débattu, d’abord au sein de la Commission « Constitution et Justice », puis par les deux Chambres. Ses réflexions n’ont pas beaucoup avancé pour cause de « l’année électorale 2014 » qui a focalisé l’attention de ses membres sur d’autres priorités : leur propre réélection !

grupo de trabalhoLe Groupe de Travail du Parlement propose le vote par district : il s’agit de remplacer le découpage électoral proportionnel actuel des Etats par celui des districts qui désigneraient chacun 4 a 7 élus. Ainsi Sao Paulo (22,4% de l’électorat du pays) serait divisé en 10 districts, ce qui relativiserait son poids politique à Brasilia et laisserait plus de place à d’autres régions.

Le Groupe de Travail du Parlement prône encore le vote facultatif en lieu et place du vote obligatoire actuel, ainsi que l’interdiction des coalitions proportionnelles. De plus chaque candidat devrait obtenir au moins 10% du quotient électoral, ce qui permettrait d’en finir avec les députés élus avec un nombre ridiculement petit de voix grâce à ces alliances.

Concernant le financement des campagnes, le Groupe de Travail du Parlement suggère de limiter le financement des entreprises aux partis à l’exclusion des candidats individuels. Il propose enfin que seule cette clause du vote par district soit soumise au référendum populaire, les autres dispositions étant adoptées directement par les Chambres.

2. Le Mouvement pour le Combat Contre la Corruption électorale

MCCEPrésidé par un ancien juge, Marlon Reis, le MCCE s’est fait connaître à l’occasion de la vaste pétition, signée par plus de 2 millions de personnes, qu’il a lancée en 2010 et qui a a abouti à la promulgation de la loi « Ficha Limpa » interdisant aux candidats condamnés pour corruption de se présenter aux élections. Le MCCE rassemble toute une série d’association et de mouvements sociaux, dont la Conférence nationale des Evêques brésilien s (CNBB et l’Ordre des Avocats (OAB).

Suite manifestations de juin 2013, le MCCE a lancé une nouvelle pétition, cette fois à propos de la réforme politique. Le texte propose que l’élection des députés se fasse à deux tours, comme celle du Président et des Gouverneurs des Etats. Le financement des campagne de la part des entreprises serait interdit et les personnes physiques ne pourraient contribuer que pour un maximum de 700 R$ par parti (280 CHF / 235 €).

Les élections dépendraient donc essentiellement d’un financement public. Le MCCE réclame encore l’instauration du plébiscite pour toutes les décisions ayant trait à la création ou la fusion de communes, les concessions au privé de la gestion de services publics et la privatisation de biens publics.

3. Le Parti des Travailleurs

convençao PT 2014Le PT, principale force du Parlement avec 70 députés élus, propose lui aussi le recours au plébiscite, mais uniquement pour mettre en place une « Assemblée nationale constituante exclusive » chargée d’élaborer la réforme politique. Les personnes désignées pour siéger dans ce cénacle ne pourraient pas être candidat ensuite à une autre charge publique.

Il vise à rassembler 1,5 millions de signatures afin de faire pression sur le Congrès qui a déjà considéré antérieurement le plébiscite comme un acte anticonstitutionnel. Le PSDB d’opposition notamment, mais aussi une bonne partie du PMDB (base gouvernementale) y sont farouchement hostiles.

campnha eleitoral na ruaDans la vision du Parti des Travailleurs, les listes électorales seraient constituées au sein des partis par des primaires et proposées comme un tout aux électeurs. Ces derniers voteraient donc pour une liste et non plus pour un candidat, les mieux placés d’entre eux deviendraient ensuite les élus.

Le PT veut aussi interdire tout financement privé des campagnes (par les entreprises ou par les particuliers) et limiter l’apport de fonds aux contributions publiques. Enfin, il propose l’établissement de cotas pour augmenter à 50% la présence des femmes au sein du Parlement.

 4. Dilma Rousseff

dilma da janelaLa Présidente fraîchement réélue propose elle aussi un plébiscite pour « orienter » les travaux du Parlement sur la réforme politique. Dilma Rousseff avance 5 thèmes sur lesquels la population devrait se prononcer : financement public ou privé des campagnes ; vote proportionnel (proposition du PT) ou par district (proposition du Groupe de Travail du Parlement) ; abolition ou non du régime de suppléant au Sénat ; abolition ou non du vote secret au Congrès ; maintien ou abolition des coalitions proportionnelles.

La réaction des parlementaires a été immédiate. Ils ne veulent pas se voir dicter leur conduite par un verdict populaire préalable, qualifiée de « populiste » par plusieurs d’entre eux. Face à cette résistance, la Présidente a reculé, elle admet maintenant l’idée d’un référendum qui viendrait cautionne postérieurement une réforme élaborée par le Parlement à la place d’une consultation préalable.

A titre personnel, elle se prononce pour la fin du financement des campagnes par les entreprises privées et pour l’abolition des coalitions proportionnelles.

Une réforme qui a des chances d’aboutir ?

protesto no congressoCes différentes propositions sont souvent contradictoires entre elles et dans la composition actuelle du Congrès, on voit mal comment un consensus minimum pourrait émerger entre les 28 formations qui occupent les 531 sièges du Parlement. D’autant que ces contradictions divisent transversalement les partis eux-mêmes, selon les intérêts propres des représentants des différents Etats et des lobbies.

Un arbitrage paraît donc difficile. Il devrait être l’apanage de la Présidente ou du Ministre de la « Casa Civil » chargé des relations avec le Congrès, mais vu la fragilité de sa victoire le 26 octobre, Dilma Rousseff semble ne pas devoir disposer d’une liberté de manœuvre suffisante pour imposer sa médiation.

D’autant que la proposition de mettre fin aux coalitions proportionnelles -sans doute la mesure la plus significative pour faire avancer la réforme politique- aurait de sérieux effets sur l’avenir de bien des députés ! Ainsi, en passent à 23 partis représentés au Parlement au lieu de 28, les 4 principales formations (PT et PMDB – base gouvernementale ; PSDB et PSB – opposition) verraient le nombre de leurs élus augmenter (de 224 à 313), par contre, les 24 autres formations perdraient des sièges et 5 d’entre elles disparaîtraient complètement.

protestos-juventude-congressoOr les 289 élus de ces formations jouent un rôle déterminant dans la composition des majorités de circonstance qui permettent de voter des lois ou d’entériner les propositions de l’exécutif… L’équation de la réforme politique brésilienne n’est pas prête d’être résolue !

A moins d’un nouveau sursaut de mauvaise humeur populaire. Mais on l’a vu en juin 2013, ce n’est pas le fonctionnement du jeu politique qui mobilise les forces de la société civile, ce sont les carences de la santé, de l’éducation, ou la lutte contre la corruption dans les sphères du pouvoir. Bien loin des travées du Congrès…